Melissa Yu Schott, directrice des bibliothèques publiques du Yukon, le mentionne d’entrée de jeu : « nous prêtons des histoires, mais nous en recevons aussi beaucoup ». Mme Yu Schott voit tout le potentiel de cette institution qui incarne un important morceau du filet social d’une municipalité. Car si une partie de sa clientèle vient plonger le nez dans un roman, pour une autre partie de cette clientèle, c’est une tout autre histoire.
Un lieu de connexion communautaire
« Les gens utilisent les ordinateurs pour mettre à jour leur curriculum vitae ou consulter les réseaux sociaux pour se connecter avec leurs familles. Et certaines personnes viennent parce qu’elles n’ont nulle part d’autre où aller […] pour rester au chaud, et c’est bien, ce sont toutes des utilisations légitimes de la bibliothèque », explique-t-elle. Pour Melissa Yu Schott, la bibliothèque s’érige comme un lieu de connexion communautaire.
D’autres bibliothèques à travers le Canada ont étendu ce désir de communauté jusqu’à avoir des travailleuses et travailleurs sociaux sur les lieux en tout temps lors des heures d’ouverture. C’est le cas de la municipalité de London, en Ontario, qui s’est lancée dans cette initiative en avril dernier. À Whitehorse, un projet en collaboration avec Safe at Home en est à ses balbutiements.
Point d’entrée, point de contact social
Un petit kiosque, une à deux personnes, une écoute attentive. Depuis le printemps dernier, l’organisation Safe at Home assure une présence bimensuelle devant la porte d’entrée de la bibliothèque de Whitehorse, les mercredis de 10 h à midi. « Nous avons lancé le projet pilote avec l’organisation et nous verrons comment ça se passe. L’idée, c’est de rencontrer des gens là où ils se trouvent », précise Melissa Yu Schott. Pour Safe at Home, une organisation à but non lucratif visant l’élimination du sans-abrisme, cela représente aussi l’occasion de faire connaître ses services.
« On est capable de mettre en relation les personnes dans le besoin avec les services appropriés », souligne Eugenia Dadson, coordonnatrice au logement à Safe at Home. Cela lui a permis d’échanger avec des personnes plus âgées, qui ne travaillent plus et qui ont de la difficulté à se trouver un logement abordable. « Il y a un écart entre les services offerts et cette clientèle, et c’est à la bibliothèque que je m’en suis rendu compte. »
Anthony Boisvert, intervenant, a effectué quelques quarts de travail à la bibliothèque, surtout cet été. Il affirme y avoir surtout rencontré des personnes qui connaissaient déjà bien l’organisme. Selon lui, pour avoir davantage d’impact, le service devrait être offert plus fréquemment.
Les bienfaits d’un visage familier
Pour Anthony Boisvert, le service pourrait aller encore plus loin. « Si c’est toujours la même personne, qui est connue des gens, je pense que ça fait toute la différence. Le fait de reconnaître un visage, c’est beaucoup plus efficace que juste une pancarte ou un kiosque », croit-il.
La directrice générale de la division yukonnaise de l’Association canadienne pour la santé mentale, Tiffanie Tasane, est du même avis : « J’ai grandi dans une famille de bibliothécaires et je suis consciente que la bibliothèque est l’un des rares espaces publics couverts et gratuits restants, ce qui en fait un lieu de rassemblement pour les personnes moins fortunées, les sans-abri et les personnes ayant des enjeux de santé mentale. […] Avoir un travailleur social, ou même du personnel formé en santé mentale ou en intervention de crise, ce serait un atout ».

Melissa Yu Schott est la directrice de la bibliothèque publique de Whitehorse.
Melissa Yu Schott affirme qu’environ 50 incidents se produisent chaque année à la bibliothèque de Whitehorse, nécessitant une intervention de la part du personnel. La majorité d’entre elles proviennent de personnes en état d’ébriété ou évanouies. Si le projet ne prévoit pas de rendre disponible un ou une intervenante à temps plein pour l’instant, reste que le besoin se fait sentir. « Nous aimerions être capables d’en faire plus. Notre personnel est très empathique et veut aider, mais nous devons aussi être raisonnables dans nos attentes », affirme Melissa Yu Schott, qui souligne du même souffle que le rôle d’intervention ne peut pas retomber uniquement sur les épaules des bibliothécaires. Plusieurs formations sont toutefois déjà offertes au personnel, comme l’administration de la naloxone à des personnes en surdose ou la désescalade de conflits.
La bibliothèque de Whitehorse se dit ouverte à davantage de collaboration avec différents partenaires, dans le but de mieux servir la clientèle. Melissa Yu Schott s’interroge ainsi : « Comment pouvons-nous tous nous réunir pour répondre à un besoin? Il y a beaucoup de potentiel. »
IJL – Réseau.Presse L’Aurore boréale