« Ça ne m’a jamais effleuré l’esprit d’être même première répondante, peu importe la nature : encore moins pour les services d’incendie. Ça ne pouvait pas être plus loin de moi que ça. »
Anna Ly a grandi à Montréal et y a fait ses études en nutrition. Au cours de celles-ci, un stage à Whitehorse lui a donné la piqûre des grands espaces. Une fois son titre de diététiste acquis, elle a fait ses valises pour le Grand Nord.
Quelques mois plus tard, une amie lui transmettait un formulaire d’inscription pour le camp Ember. C’était le début d’une belle et exaltante aventure, au cœur du brasier.
Formation intensive aux femmes
Le camp Ember est une formation intensive d’une semaine pour les femmes de 16 ans et plus qui désirent apprendre les rouages du métier de pompière et de première répondante au Yukon.
Gratuit, le camp ne nécessite aucune formation préalable. « C’est non seulement pour, mais aussi par des femmes. Toutes les notions sont enseignées par des femmes », explique Anna Ly. Chaque année depuis 8 ans, une dizaine de Yukonnaises participent à cette formation financée par le gouvernement territorial.
Elles y apprennent entre autres à secourir des personnes prisonnières de leur véhicule, réaliser des sauvetages en hauteur, utiliser le matériel de protection personnel et, évidemment, éteindre des feux. Plus encore, elles travaillent leur endurance, autant physique que mentale. « C’est sûr qu’il y a au moins un moment dans ta semaine qui challenge toutes les cellules de ton corps », garantit Anna Ly.
La diététiste se rappelle très bien une épreuve en particulier, visant à reproduire les conditions d’un feu de bâtiment, avec peu de visibilité et beaucoup de fumée. « Il faut passer à travers un tunnel. C’est plein de fils et de cordes, et il faut se mettre sur le dos et faire comme si on nageait. C’est un espace clos, tu es dans un équipement super lourd qui pèse 40 livres, tu ne vois absolument rien et ton masque fait un bruit presque comme Dark Vador. C’est tellement contre-intuitif de respirer dans ce masque-là », se remémore Anna Ly, encore ébranlée par le défi. « Mais au bout du compte, c’est sécuritaire, et on réussit », affirme-t-elle fièrement.
Depuis 2014, plus de 85 recrues ont participé au programme. Selon les chiffres de 2021, 27 de celles-ci ont poursuivi leur engagement en devenant pompière volontaire. Anna Ly est l’une d’entre elles.
De la théorie à la pratique
Celle qui est nouvellement coordonnatrice du programme Bébés en santé, avenir en santé chez Les Essentielles se souviendra à jamais de son premier appel. Après avoir complété le camp Ember, elle a entrepris une série de formations – entièrement gratuites – afin de devenir pompière volontaire.
Le 14 février, Anna Ly a reçu sa radio avec un brin de nervosité. « Je me demandais “est-ce que j’ai le temps de me brosser les dents si on m’appelle? Est-ce que j’y vais en pyjama? Est-ce que j’amène quelque chose à manger sur la route?’’ » Finalement, un matin frais de mars, à 6 h, la radio a retenti dans sa chambre à coucher : « Mon premier appel, c’était un incendie de maison. »
Selon Anna Ly, il est plutôt rare de recevoir ce genre d’appel à la caserne de Golden Horn. Selon ses dires, ce serait même le seul appel d’incendie immobilier dans les 10 dernières années. Dents brossées et couches de vêtements chauds à la main, elle a pris le volant vers le lac Marsh, son cœur battant la chamade. « On est resté sur scène de 6 h le matin à 2 h de l’après-midi. Après, je suis allée au travail et à 16 h on a reçu une deuxième alarme. »
Une fois la nervosité passée, Anna Ly a pu accomplir ses tâches et aider à maîtriser le brasier. Ce qu’elle a remarqué? « Mes collègues avaient leur pyjama en dessous de leur équipement! », lance-t-elle en riant.
Le Yukon brise le plafond de verre
Selon les données de plusieurs recherches canadiennes, les personnes s’identifiant comme femmes ne représenteraient qu’entre 4 et 5 % du personnel à travers les casernes du pays. Dans la caserne d’Anna Ly, il en est tout autrement. La moitié de l’équipe est féminine. « Dans le service d’incendie, on [s’imagine habituellement] un pompier très grand et musclé, mais il faut comprendre qu’on répond à une variété d’appels. Ça se peut qu’il y ait un enfant pris sous le balcon d’une maison et, à ce moment-là, on va avoir besoin d’une personne plus petite », explique Anna Ly, qui est maintenant l’une des instructrices du camp Ember. « Le cliché de l’homme très grand et fort n’est plus valide », résume-t-elle.
Selon elle, c’est toute la pertinence d’un camp comme Ember : développer une confiance en soi, défier ces clichés misogynes, identifier les hommes qui peuvent être des alliés et, finalement, tisser des liens : « Les filles du camp Ember, c’est ma deuxième famille », conclut Anna Ly.