Quand Johane Curial a amorcé sa transition végane il y a huit ans au Yukon, elle s’est rapidement sentie isolée. Elle sentait son sentiment d’appartenance à la société s’étioler, alors que personne de son entourage n’avait décidé, comme elle, d’éliminer complètement l’utilisation des animaux dans sa vie, que ce soit pour l’alimentation, les vêtements ou les expériences.
« C’était très rare de trouver une personne végétalienne. Et ça peut vite créer un sentiment d’isolement de savoir que les gens qui t’entourent contribuent à quelque chose avec lequel tu es totalement en désaccord, explique Johane Curial, aujourd’hui âgée de 41 ans. Je me sentais un peu seule. »
Le 5 juin 2016, elle fonde le groupe Facebook Yukon Vegans. Six ans plus tard, près de 200 personnes aspirant à un mode de vie végan s’y échangent recettes, suggestions de lectures et documentaires, et bonnes adresses en ville.
Souci du bien-être des animaux
Entre santé, environnement et bien-être des animaux, tous les membres de la communauté végane sont loin de partager les mêmes motivations et parcours. Pour Anthony Boisvert, végétalien depuis cinq ans, l’essentiel a été de déconstruire la vision anthropocentriste, qui place l’humain au-dessus de tout. « Pour moi c’est un devoir moral. En tant que personne privilégiée, si tu as la possibilité de ne pas infliger de violences, tu te dois de le faire », croit-il.
Laurence Rivard a récemment changé ses habitudes de vie après avoir passé beaucoup de temps à lire sur le sujet et à s’informer sur l’antispécisme. « Pour moi, c’est juste une suite logique de mes autres luttes sociales, de l’antiracisme ou de l’antifascisme. Il s’agit d’étendre son empathie et d’éviter la souffrance inutile », lance-t-elle.
Johane Curial est du même avis : « Le but ultime est l’égalité et l’élimination du spécisme, l’idée que nous, en tant qu’humains, sentons que nous sommes intrinsèquement meilleurs que les autres espèces sur la planète. C’est juste un autre -isme dans un monde qui justifie un traitement inhumain », affirme-t-elle.
« C’est sélectif si tu accordes ton empathie à seulement tes chiens et tes chats », image Anthony Boisvert.
Une transition plurielle
Le changement peut parfois prendre du temps. Johane Curial affirme avoir été élevée au cœur d’un régime alimentaire de patates et de viandes, et avoir perpétué ces coutumes jusqu’à la mi-trentaine. Laurence a terminé son baccalauréat en biologie, durant lequel elle a souvent disséqué des animaux et utilisé ces derniers comme cobayes. Les meilleurs souvenirs d’enfance d’Anthony, avec son grand-père, prennent place autour d’une canne à pêche.
Pour Johane Curial, il demeure important que les personnes qui souhaitent amorcer la transition soient indulgentes envers elles-mêmes. Son fils de neuf ans, Mikhail, a aussi été élevé dans le véganisme, ce qui n’a jamais représenté un problème à l’école ou dans ses relations amicales, selon sa mère.
« Il faut toujours se rappeler pourquoi on veut le faire, parce que moi je suis d’avis que de devenir végan, c’est faire des sacrifices. Mais je trouve que le poids éthique surpasse ce que ça m’apporterait en bonheur de manger un produit non végan », croit Anthony Boisvert, 26 ans.
Le véganisme au Nord
Johane Curial ne pense pas qu’il est plus difficile de pratiquer le véganisme au Nord. Elle souligne toutefois les traditions culturelles comme la pêche, la chasse et la trappe, tellement communes et ancrées dans le Nord. « C’est parfois tendance d’être végan·e dans les provinces, mais je ne crois pas que c’est si bien vu ici », admet-elle.
Pour Laurence Rivard, qui habitait à Montréal avant de s’installer au territoire, il y a même des côtés bénéfiques à amorcer sa transition ici, puisqu’il y a moins de tentations, comme ses restaurants favoris.
Tous trois ne voient pas l’accessibilité des produits comme un problème, surtout avec la présence d’épiceries spécialisées, comme l’épicerie Riverside. « C’est sûr que si j’étais à Dawson ou à Inuvik, je n’aurais probablement pas le même discours, mais ici, il n’y a pas de problème », concède Anthony Boisvert.
Ce dernier estime que le Yukon lui a toutefois ouvert les yeux sur sa façon de voir la chasse, notamment les aspects culturel et spirituel associés aux Premières Nations.
La place du militantisme
Tous trois reconnaissent que ce mode de vie représente une forme de militantisme. Selon Laurence Rivard, l’importance de la diversité des tactiques trouve sa place dans ce mouvement : « Il y a des gens qui vont filmer les abattoirs et d’autres qui vont faire des recettes et démystifier le tofu : c’est important de réaliser que tout le monde peut avoir un rôle à jouer, ça rend ça moins épeurant », affirme-t-elle.
Même son de cloche pour Anthony Boisvert et Johane Curial qui préfèrent pratiquer les discussions sans jugement plutôt que la confrontation. « J’ai fait ma part, aussi petite qu’elle puisse sembler, en lançant le groupe Facebook et en plantant une graine dans l’esprit des gens que je rencontre », souligne cette dernière.
Les restrictions liées à la pandémie étant levées, les membres du groupe Facebook espèrent pouvoir se réunir à nouveau afin de partager un repas. Et ces derniers le confirment : non, la laitue ne sera pas au menu.