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le Jeudi 14 octobre 2021 4:53 Société

Les états d’urgence climatique : deux ans après

Le chef de la Première Nation Vuntut Gwitchin, Dana Tizya-Tramm voit l’enjeu climatique comme la charge négative d’un conduit électrique, et l’implication des citoyens, la charge positive. « Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’un conducteur », ajoute-t-il. Photo : Facebook.
Le chef de la Première Nation Vuntut Gwitchin, Dana Tizya-Tramm voit l’enjeu climatique comme la charge négative d’un conduit électrique, et l’implication des citoyens, la charge positive. « Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’un conducteur », ajoute-t-il. Photo : Facebook.

Les déclarations d’état d’urgence avaient la cote en 2019. Deux ans après, leur portée est belle et bien mondiale. Mais est-elle simplement symbolique?

Le chef de la Première Nation Vuntut Gwitchin, Dana Tizya-Tramm voit l’enjeu climatique comme la charge négative d’un conduit électrique, et l’implication des citoyens, la charge positive. « Tout ce dont nous avons besoin, c’est d’un conducteur », ajoute-t-il. Photo : Facebook.

 

En 2019, les déclarations d’état d’urgence climatique se répandaient comme une traînée de poudre. Old Crow, l’Assemblée des Premières Nations (AFN), la Ville de Whitehorse, puis le gouvernement du Yukon ont tour à tour sonné l’alarme, tout comme plus de 2 000 juridictions répandues dans 35 pays à travers le monde, selon les données du site climateemergencydeclaration.org.

Mais ces déclarations politiques n’ont pas toujours réussi à se transformer en actions concrètes, ce que déplore la directrice des politiques domestiques à Réseau action climat Canada, Caroline Brouillette : « Les gouvernements reconnaissent que c’est une urgence. Cela étant dit, la communication et nommer les choses c’est important, mais ce qui est encore plus important ce sont les actions. »

Réseau action climat est un regroupement de 130 organismes, dont des syndicats canadiens, des groupes autochtones et des groupes confessionnels, qui travaillent ensemble sur la crise climatique.

L’urgence climatique dans le Nord

Au Yukon, c’est la petite communauté d’Old Crow, tout au nord du territoire, qui a sonné l’alarme en premier en mai 2019. Selon le chef de la Première Nation Vuntut Gwitchin, Dana Tizya-Tramm, la déclaration a fait du chemin dans les dernières années.

« C’est encore plus puissant qu’une armée, ce sentiment que le temps est venu, souligne-t-il. Ça a permis d’articuler l’idée qui était sur le bout de la langue de notre nation et loin dans la tête du monde entier. » Il voit d’un bon œil le fait que le gouvernement yukonnais et la Ville de Whitehorse leur ont emboîté le pas.

Pour Rebecca Turpin, directrice du Secrétariat des changements climatiques découlant du ministère de l’Environnement du Yukon, la déclaration est en grande partie symbolique, mais a su inspirer et guider le travail qui a été réalisé depuis.

Elle évoque entre autres le premier rapport de la stratégie Notre avenir propre, développée par le gouvernement du Yukon et ses partenaires pour répondre à l’urgence climatique et publiée en août dernier, dans lequel l’objectif de réduction des gaz à effet de serre du territoire passe de 30 à 45 % d’ici 2030 par rapport à leur niveau de 2005.

Les deux autres territoires canadiens n’ont toujours pas déclaré l’état d’urgence climatique. Peu d’actions panterritoriales sont développées à l’heure actuelle, mis à part le Partenariat panterritorial pour l’adaptation (PPA) qui est une collaboration entre les gouvernements du Nunavut, des Territoires du Nord-Ouest et du Yukon misant sur l’adaptation des territoires aux réalités des changements climatiques.

Construire des bases solides

Ces déclarations ne sont pas accompagnées d’exigences ni de cibles environnementales précises, ce qui les rend donc peu contraignantes. D’où l’importance selon Dana Tizya-Tramm de s’en servir comme levier et de demander des comptes aux élu.e.s.

C’est notamment ce qu’il a fait lorsque le gouvernement libéral du Canada de Justin Trudeau a annoncé vouloir mettre fin à la dépendance au diesel dans les communautés isolées d’ici 2030. Dana Tizya-Tramm a repris cet objectif et l’a soulevé lors d’une réunion de l’AFN, pour rendre cet engagement encore plus concret. « Maintenant, nous avons la plus grande organisation autochtone et le gouvernement du Canada qui s’enlignent vers la même vision, nous avons nos mandats », explique-t-il.

Pour lui, il n’y a donc rien de futile dans cet exercice hautement politique : « L’important c’est d’avoir un rêve et une vision malgré l’ambiguïté. Après, on peut commencer à imaginer les roches sur lesquelles poser nos pieds pour avancer », ajoute-t-il, avant d’insister sur le fait qu’il faut un document de base pour permettre tant aux citoyen.ne.s, aux acteur.trice.s économiques et aux gouvernements d’y adhérer.

Des progrès à la Ville, selon le maire sortant

Si la déclaration d’urgence climatique a été adoptée en septembre 2019 par le conseil de Ville de Whitehorse, le maire Dan Curtis affirme que le travail contre les changements climatiques a commencé bien avant. Selon lui, la déclaration a pu réitérer cet engagement du conseil de Ville, mais a aussi fait monter en flèche le cynisme de la communauté.

« Nous avons déclaré l’état d’urgence, nous tâchons d’y répondre, mais d’un autre côté, dès que les taxes municipales grimpent de 1 %, les gens perdent la tête. C’est difficile de rallier tout le monde et en tant que leader il faut toujours essayer de chercher des compromis. C’est très demandant », affirme le maire sortant, qui est en poste depuis 2012.

Il y a un an, un nouveau rapport de la municipalité démontrait que les émissions de gaz à effet de serre de la ville de Whitehorse ont augmenté de 40 % dans les cinq dernières années. Selon le maire, il est important d’insister plutôt sur les bons coups réalisés, comme l’installation de panneaux solaires et le soutien au travail d’électrification des transports.

Il encourage tout le monde à « se présenter comme maire et voir les limitations du poste », et à donner son avis dans le cadre du Plan communautaire officiel de Whitehorse pour 2040 au lieu de « crier de toutes parts et blâmer le conseil de Ville ».

Dana Tizya-Tramm comprend ce genre de discours. « Les gens à Whitehorse doivent demander des comptes à leurs élu.e.s, mais une partie de la réponse réside dans chacun de nous. Ce n’est pas un enjeu qui peut seulement reposer sur les épaules des leaders et des politicien.ne.s », soutient-il.

 


Imaginer la crise climatique… comme une crise pandémique?

Pour Caroline Brouillette, la pandémie de COVID-19 est un parfait exemple de ce qui se passe réellement lorsque les gouvernements sonnent l’alarme et elle aimerait voir cette même urgence être appliquée.

« Ce serait des gouvernements qui communiquent avec nous de façon régulière claire et basée sur la science sur l’état d’urgence climatique et sur ce qui est fait et mis en place. Ce serait la mise en place de règles plus contraignantes à laquelle on n’est pas habitué.e.s », énumère-t-elle, en ajoutant que le déblocage de fonds rapide pour pallier la crise serait de mise.

« En tant que citoyen.ne.s, on a ressenti qu’on était dans une urgence [avec la COVID-19] et que les gouvernements mettaient les bouchées doubles, mais ce n’est pas ce qui se passe avec la crise climatique », déplore-t-elle.

Selon Dan Curtis, il serait impossible que la Ville de Whitehorse agisse ainsi, dépendant largement des autres paliers gouvernementaux pour son financement. Pour Rebecca Turpin, la reddition de comptes est déjà un procédé qui existe au territoire, notamment avec le rapport des progrès de la stratégie Notre avenir propre.

Peu importe les moyens employés, Dana Tizya-Tramm préfère rester positif : « Ce n’est pas un enjeu qui devrait nous séparer et ces déclarations sont justement là pour nous unifier. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous retourner contre nous-mêmes. Si nous voulons pointer le doigt dans une direction, ça devrait être vers le futur. »