L’Union européenne (UE) profitera de l’assemblée annuelle du Arctic Circle, événement international sur les questions de l’Arctique, du 14 au 17 octobre prochain pour dévoiler sa mise à jour de la politique arctique, inchangée depuis 2016. Quels éléments et orientations pourra-t-on dégager de ce document à teneur hautement diplomatique?
Il y a quelques années, l’annonce d’une nouvelle politique de l’Arctique pour l’Union européenne serait restée lettre morte. Or, l’Arctique capte de plus en plus l’attention des grandes puissances, si bien qu’il est devenu aujourd’hui un véritable terrain de jeu où chacune d’elles joue du coude pour y faire valoir ses intérêts.
« Avant, la politique de l’Arctique, c’était quatre ou cinq personnes dans un bureau au fond d’un couloir », blague Marie-Ange Schellekens, chercheuse associée à l’Université de La Rochelle. Mais la fin de la guerre froide et les changements climatiques ont tout changé, notamment en « permettant l’accès de l’homme à des zones auparavant couvertes par les glaces et en ouvrant la porte à la recrudescence d’activités humaines, telles que la pêche, le transport maritime, le tourisme, les activités minières pétrolières ou gazières », explique la chercheuse dans un article intitulé « L’Union européenne et les défis de l’Arctique ».
Selon elle, l’Arctique était « gelé physiquement et politiquement » pendant longtemps, si bien qu’il n’y a eu aucune coopération interétatique avant les trente dernières années. La toute première politique arctique de l’UE a été publiée en 2008, et la plus récente date de 2016.
Nouvelle politique : teintée de vert?
Selon Andreas Østhagen, chargé de recherche senior à l’Institut Fridtjof Nansen, en Norvège, il faut se rappeler que ce document sera avant tout politique. « Je crois que le problème avec ces documents est qu’ils ne contiennent souvent que des engagements et des déclarations génériques, affirme-t-il. Mais j’aimerais tout de même y voir une représentation claire de l’ambition de l’Union européenne dans l’Arctique. »
Pour sa part, Marie-Ange Schellekens croit tout de même que le Pacte vert pour l’Europe, la nouvelle feuille de route environnementale de l’UE, se glissera entre les lignes du document. « Le Pacte vert prévoit une transformation complète de la société, et un investissement majeur dans le développement d’une économie verte. Automatiquement, il va se refléter dans la politique de l’Arctique qui est aussi une terre d’essai pour l’innovation et l’investissement dans la recherche », estime-t-elle.
Or, les deux chercheurs réitèrent que l’UE a un rôle somme toute limité dans la région. En effet, même si trois de ses États membres, soit le Danemark, la Suède et la Finlande, sont des États arctiques, l’UE n’a qu’un statut de membre observateur ad hoc au Conseil de l’Arctique. Ce dernier, qui a célébré son 25e anniversaire le 20 septembre dernier, est la principale institution intergouvernementale de coopération en Arctique.
Un statut de membre observateur oblige donc l’UE à redoubler de prudence, quitte à jouer les funambules, selon Mme Schellekens : « L’UE a compris qu’elle pouvait faire peur et qu’elle représentait une grosse machine de guerre normative. […] Il y aura quand même toujours une réticence à avoir une UE avec un profil trop visible au sein d’un forum conçu d’abord pour les États arctiques. » Pour Andreas Østhagen, l’UE doit ainsi trouver un équilibre entre sa capacité à jouer un rôle prédominant dans la lutte contre les changements climatiques et ses propres intérêts géopolitiques.
Relations UE-Canada en Arctique : un cas d’école
En effet, la dernière fois que l’UE a fait un pas en avant de trop en Arctique, le Canada s’en souvient. En 2010, cette dernière avait annoncé l’interdiction de l’importation de produits dérivés du phoque sur les marchés européens, s’attirant les critiques du Canada et des diverses organisations autochtones. La mesure avait d’ailleurs fait vivement réagir Mary Simon, alors à la tête de l’Inuit Tapiriit Kanatam, l’organisation inuit canadienne.
À l’époque, celle qui a été nommée la gouverneure générale du Canada en juillet 2021 avait qualifié la mesure d’« aussi égoïste que mal fondée et culturellement arrogante ». Une erreur de jugement importante qui montre le manque de compréhension de l’organisation du mode de vie des peuples autochtones et inuits au Canada, selon Andreas Østhagen, doctorant en relations internationales de l’Université de la Colombie-Britannique.
En réponse à cette discorde, qui a depuis été réglée devant l’Organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Canada avait bloqué la candidature de l’UE comme membre observateur permanent au Conseil de l’Arctique, un acte exceptionnel considérant la relation cordiale qu’entretiennent l’UE et le Canada, partenaires stratégiques de longue date.
La relation s’est améliorée depuis. « La coopération du Canada et de l’UE dans l’Arctique demeure en grande partie concentrée dans le domaine de la science, de la technologie et de l’innovation », souligne le rapport annuel de 2020 sur l’état de la relation entre les deux partenaires. « Le Canada se réjouit des liens toujours plus étroits avec l’UE dans l’Arctique, en particulier dans les domaines de la science et de la recherche arctiques […] et de la mobilité des Inuits à la frontière Canada-Royaume du Danemark », explique Jason Kung, porte-parole d’Affaires mondiales Canada.
Selon Mme Schellekens, c’est notamment en misant sur le financement de la recherche et en jouant cartes sur table en matière de lutte contre les changements climatiques que l’UE peut se tailler une place de choix sur l’échiquier de l’Arctique. Une mise à jour de la politique de l’Arctique empreinte de collaboration et de finesse représentera certainement une manière pour l’organisation de placer habilement ses pions.
Articles de l’Arctique est une collaboration des cinq médias francophones des territoires : les journaux L’Aquilon, l’Aurore boréale et Le Nunavoix ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.