Les femmes autochtones journalistes au Canada doivent faire face à des problèmes de violence et de discrimination lors de l’exercice de leur profession. C’est la réalité qu’a exposée l’organisme basé à Toronto Journalistes pour les droits humains, dans un rapport intitulé La moitié de l’histoire ne suffit jamais : les menaces auxquelles sont confrontées les femmes journalistes.
Sur les 12 000 journalistes en activité au Canada, moins de 250 personnes seraient autochtones, d’après l’autrice du rapport, Karyn Pugliese. Les femmes autochtones journalistes sont sous-représentées, selon elle, et subissent de plein fouet les effets du racisme systémique.
« Le racisme systémique et le sexisme à l’égard des femmes autochtones journalistes persistent, tant dans la société canadienne que dans les salles de rédaction canadiennes », peut-on lire en introduction du document. Violence verbale et physique de la part de la police et des chefs autochtones, mais aussi harcèlement sexuel dans les salles de rédaction sont quelques-uns des risques auxquels ces femmes sont confrontées sur leur lieu de travail ou sur le terrain en couverture médiatique.
Pour cette enquête, 15 femmes issues des Premières Nations des provinces ont accepté de partager leur expérience avec Mme Pugliese. « Nous sommes un petit groupe, nous nous connaissons toutes et nous avions déjà eu cette conversation dans le passé. Le fait est que personne ne nous a jamais demandé auparavant à quels types de défis les femmes journalistes autochtones sont confrontées. Mais nous avons des histoires à raconter », indique Mme Pugliese qui, après avoir été correspondante sur la Colline du Parlement et directrice générale de l’information et des affaires courantes à la chaîne de télévision autochtone APTN, a rejoint l’École de journalisme de l’Université Ryerson de Toronto au printemps 2020.
Destiné à un auditoire international et remis à la commission canadienne pour l’UNESCO, le rapport de 36 pages, qui traite également des défis auxquels les femmes journalistes d’autres pays comme la Syrie et la République Démocratique du Congo doivent faire face, a été publié au mois de novembre 2020.
Shirley McLean, qui est membre de la Première Nation de Carcross-Tagish et qui a travaillé en tant que journaliste pour CBC pendant quatre ans au Yukon, n’a jamais fait face à de la violence. « Je n’ai pas été confrontée à ce qui est décrit dans le rapport », précise-t-elle.
Cependant, elle estime qu’il y a un manque de formation sur l’histoire des autochtones du territoire pour les journalistes qui arrivent de l’extérieur du territoire lorsqu’ils viennent exercer à Whitehorse. Selon elle, cette ignorance, qui n’est pas du racisme, ne permet pas à ces journalistes d’avoir une compréhension complète du contexte local.
« Je pense que l’une des plus grandes erreurs des organismes de presse est d’embaucher des journalistes du Sud pour travailler dans le Nord, sans leur donner une formation appropriée en matière de sensibilité culturelle et sur les accords des revendications territoriales afin de comprendre comment les Premières Nations ont intégré la structure socioéconomique des territoires », dit-elle.
Difficulté à couvrir les sujets autochtones
L’un des problèmes soulevés dans le rapport est le manque de soutien apporté par la hiérarchie lors de la couverture de sujets difficiles et sensibles au sein des communautés autochtones. Mme McLean se souvient que lorsqu’elle était présente à la Commission de vérité et de réconciliation à Whitehorse, en janvier 2013, un travailleur social du gouvernement du Yukon lui a demandé comment elle se sentait.
« De toute ma carrière, c’est la seule fois où c’est arrivé, se remémore-t-elle. [En tant que journalistes], nous pouvons porter le masque de l’objectivité et raconter la vérité, mais en même temps nous ressentons des émotions et nous pouvons éprouver les effets du traumatisme lié à ces histoires. »
Mme Pugliese fait également mention de la tension que subissent ces femmes lorsqu’elles travaillent sur des enjeux autochtones au sein de leur communauté et des attentes que les membres de cette communauté ont quant à la narration du sujet qui, selon eux, doit être au plus prêt de la vérité.
« Il y a une responsabilité supplémentaire que vous avez dans votre propre communauté, car celle-ci met beaucoup de pression pour que l’histoire soit correcte. Cette pression, les autres journalistes ne l’ont pas. »
Pour Mme McLean, il n’est pas toujours facile de trouver le point d’équilibre entre l’objectivité dont la journaliste doit faire preuve et les procédures journalistiques qui sont issues de pratiques culturelles occidentales et du passé colonial du Canada.
D’après elle, les solutions doivent cependant émaner des médias afin qu’une évolution intervienne à l’intérieur même de ces structures : « Il serait bon pour le Canada d’avoir plus de reporters autochtones dans les territoires et les entreprises de presse doivent offrir un espace pour que le changement puisse venir de l’industrie elle-même. »
La promotion de femmes autochtones à des postes-clés dans les médias est aussi une solution, selon Mme Pugliese, qui estime que « lorsque la diversité est présente au niveau de la direction », de nouvelles façons de faire et de nouvelles perspectives sont mises en place.
Dans la conclusion de ce rapport, Mme Pugliese demande que « le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones procède à un examen plus approfondi des questions soulevées [dans le rapport] et suggère des moyens par lesquels le Canada pourrait mieux soutenir son engagement envers la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et comment mieux soutenir les médias autochtones. »
Articles de l’Arctique est une collaboration des cinq médias francophones des territoires : les journaux L’Aquilon, l’Aurore boréale, et Le Nunavoix ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.