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le Mercredi 2 Décembre 2020 21:02 Société

Raymond Théberge : « Le français n’est pas qu’une langue de traduction »

Le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, explique que plusieurs institutions fédérales n’abordent les questions de langues officielles que de façon informelle.
Dans un rapport déposé le 29 octobre, Il souligne que les situations d’urgence survenues entre 2010 et 2020 ont entrainé plusieurs manquements à la Loi sur les langues officielles. Photo : Unsplash/fournie
Le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, explique que plusieurs institutions fédérales n’abordent les questions de langues officielles que de façon informelle. Dans un rapport déposé le 29 octobre, Il souligne que les situations d’urgence survenues entre 2010 et 2020 ont entrainé plusieurs manquements à la Loi sur les langues officielles. Photo : Unsplash/fournie

Bruno Cournoyer Paquin, Francopresse

Conférences de presse uniquement en anglais, communiqués en français en décalage et étiquetage unilingue de certains produits sanitaires : voilà quelques-uns des ratés de la crise de la COVID-19 relevés par le commissaire aux langues officielles. Dans un rapport déposé le 29 octobre, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, souligne que les situations d’urgence survenues entre 2010 et 2020 ont entrainé plusieurs manquements à la Loi sur les langues officielles.

Le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, explique que plusieurs institutions fédérales n’abordent les questions de langues officielles que de façon informelle.
Dans un rapport déposé le 29 octobre, Il souligne que les situations d’urgence survenues entre 2010 et 2020 ont entrainé plusieurs manquements à la Loi sur les langues officielles. Photos : Unsplash/fournie

 

Pour François Larocque, professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, le rapport donne « un bon survol de ce qui a été soulevé dans la presse et dans les médias sociaux au sujet des problèmes de communication dans les deux langues officielles depuis le début de la pandémie ».

Dans ce rapport intitulé Une question de respect et de sécurité : l’incidence des situations d’urgence sur les langues officielles, Raymond Théberge relève avoir reçu 100 plaintes concernant les langues officielles depuis le début de la pandémie, dont 72 étaient recevables.

« Ces plaintes portaient à la fois sur l’absence de communications ou de prestation des services dans les deux langues officielles de la part du gouvernement du Canada et sur les droits liés à la langue de travail des fonctionnaires fédéraux dans les régions désignées bilingues », indique le rapport.

« Des changements doivent s’opérer au sein du gouvernement fédéral pour que les langues officielles ne soient plus une considération de second ordre pendant les situations d’urgence, mais qu’elles fassent partie intégrante de la gestion de crise », peut-on encore lire.

Éric Forgues, directeur de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML) de l’Université de Moncton, précise que dans le cas de la crise de la COVID-19, « la communication [dans les deux langues officielles] est essentielle : on vise à informer pour favoriser des comportements qui vont limiter la propagation du virus. Donc c’est non seulement une question de droit, mais aussi de santé publique. »

Des manquements routiniers exacerbés par les situations d’urgence

« Ce qu’on constate, c’est que dans les institutions fédérales qui sont, directement ou non, liées à ces situations [d’urgence], on n’a pas intégré formellement la capacité de communiquer dans les deux langues officielles simultanément, explique le commissaire Raymond Théberge en entretien avec Francopresse. Étant donné qu’on n’est pas prêts, on se retrouve souvent à répéter les mêmes situations ».

Pour le professeur Matthieu LeBlanc, du Département de traduction et des langues de l’Université de Moncton, ces dérapages en matière de langues officielles dans la fonction publique fédérale ne sont pas nouveaux. « Mais je pense que d’après ce qu’on voit dans le contexte de pandémie, ça s’est exacerbé. On remarque qu’il y a toute la question du temps, de l’urgence, et je pense que ça met en lumière des problèmes qui existaient déjà au sein de la fonction publique », ajoute-t-il.

« Un des gros problèmes, selon Raymond Théberge, c’est que les langues officielles ne sont pas formellement intégrées au sein des institutions. Trop souvent, c’est informel. »

Certains individus adoptent d’excellentes pratiques en matière de langues officielles, mais celles-ci sont rarement codifiées formellement dans les procédures des organisations. « Le français n’est pas qu’une langue de traduction, c’est important de mieux intégrer le français dans les milieux de travail », ajoute le commissaire. Une initiative qui doit être soutenue par les hauts dirigeants des organisations fédérales.

La Loi sur les langues officielles n’est pas une loi comme les autres, car elle met en œuvre les obligations linguistiques du gouvernement fédéral sous la Charte des droits et libertés, explique le professeur François Larocque.

« Le bilinguisme devrait faire partie de l’ADN de la machinerie fédérale. Essentiellement, il n’y a rien, rien, qui ne devrait se faire au gouvernement fédéral si ce n’est pas dans les deux langues. Il n’y a pas une communication, il n’y a pas un gazouillis, il n’y a pas un discours qui devrait sortir d’une institution fédérale, et surtout d’une administration centrale fédérale, sans que ce soit dans les deux langues! » s’exclame-t-il.

Trois recommandations : des solutions « systémiques »

« Le seul point, c’est que lorsqu’on parle des situations d’urgence, ce qu’on constate c’est que ce sont des comportements systémiques. Donc il faut trouver des solutions systémiques et non au cas par cas », soutient le commissaire Théberge.

Il souligne que les institutions fédérales utilisent souvent le manque d’accès à un service de traduction efficace pour expliquer leurs manquements à la Loi. En conséquence, la première recommandation du rapport est de mettre sur pieds « un service de traduction accéléré pour les situations d’urgence ou de crise ».

La seconde recommandation du rapport suggère d’intégrer les langues officielles dans la conception et la mise en œuvre des plans d’urgence du gouvernement fédéral, et que les fonctionnaires responsables des communications en situation d’urgence possèdent les compétences « pour appliquer les plans et directives quant aux communications d’urgence dans les deux langues officielles ».

En troisième lieu, le commissaire aux langues officielles observe aussi que les situations d’urgence impliquent souvent différents paliers de gouvernement. Dans le cas de la COVID-19, notamment, les services de santé relèvent des provinces, alors que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer par rapport à la santé publique.

Dans les cas où les situations d’urgence impliquent plusieurs juridictions, recommande le commissaire Théberge, le gouvernement fédéral devrait être en mesure d’appuyer tous les acteurs pour assurer que les messages soient diffusés dans les deux langues officielles au niveau national.

Une recommandation qui « a plein de bon sens », selon le professeur Larocque, parce que « le gouvernement fédéral a un rôle de leadeurship à jouer auprès des provinces et des municipalités. »

« Pour les provinces qui ne sont pas habituées à travailler dans un environnement bilingue, la pente est raide ici. Mais il est important d’avoir une discussion franche entre les différents paliers de gouvernement sur la façon d’y parvenir, parce que le fédéral ne peut pas tout faire tout seul ; il y a des compétences provinciales à respecter », nuance-t-il.

Le professeur Larocque émet cependant une critique sur ce rapport : « Une occasion qui me semble tout à fait ratée ici, c’est de faire le pont entre la COVID-19 et la modernisation de la Loi sur les langues officielles. »

« Je suis un peu étonné de ne pas voir une recommandation en lien avec la modernisation, et de saisir cette opportunité pour incorporer dans la Loi sur les langues officielles des obligations en matière d’état d’urgence », conclut François Larocque.