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le Jeudi 19 novembre 2020 6:16 Société

Violence envers les femmes, l’autre mal difficile à enrayer

La violence faite aux femmes coûte chaque année des milliards de dollars aux contribuables et au gouvernement : les Canadiennes et les Canadiens dépensent collectivement 7,4 milliards de dollars seulement pour gérer les conséquences de la violence conjugale (Stat. : Fondation canadienne des femmes).
Photo :  Pexels Sofia Alejandra
La violence faite aux femmes coûte chaque année des milliards de dollars aux contribuables et au gouvernement : les Canadiennes et les Canadiens dépensent collectivement 7,4 milliards de dollars seulement pour gérer les conséquences de la violence conjugale (Stat. : Fondation canadienne des femmes). Photo : Pexels Sofia Alejandra

Pour de nombreuses femmes, l’urgence quotidienne ne concerne ni la pandémie ni le climat. En ces temps pleins de bouleversements, les associations féministes peinent à trouver les moyens de rassembler leurs forces pour lutter contre un mal qui ronge toujours dans l’ombre : la violence envers les femmes. Au Yukon comme ailleurs le combat n’est pas gagné.

La violence faite aux femmes coûte chaque année des milliards de dollars aux contribuables et au gouvernement : les Canadiennes et les Canadiens dépensent collectivement 7,4 milliards de dollars seulement pour gérer les conséquences de la violence conjugale (Stat. : Fondation canadienne des femmes).
Photo : Pexels Sofia Alejandra

 

Le 25 novembre est la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Chaque année, cette date marque le début de la campagne annuelle d’action contre la violence basée sur le genre. Ce fléau de société (caractérisé comme systémique par certaines associations dans l’Est canadien) ne s’est pas confiné : trop de femmes continuent de subir des violences physiques, verbales ou psychologiques.

Augmentation des demandes de services au Yukon

Selon Ketsia Houde, directrice par intérim du Centre d’hébergement de transition pour les femmes qui vivent de la violence, il est difficile d’avoir des chiffres clairs. « Le taux de personnes qui rapportent les violences est très faible et la situation est souvent complexe. Déclarer la violence inclut souvent des questions financières, légales ou la garde des enfants », explique-t-elle.

Elle constate malgré tout une hausse des demandes des services depuis les derniers mois. « Au début de la pandémie, nous n’avions pas une grande demande. Mais en temps de Covid et de confinement, pour les femmes victimes de violence à la maison, c’était plus difficile d’aller chercher de l’aide. » En effet, les victimes de partenaires contrôlants ou violents avaient moins de possibilités de quitter la maison pour aller chercher du soutien ou moins d’opportunités d’être seules pour appeler une ligne de crise.

Ce constat n’est d’ailleurs pas unique au Yukon. Le magazine Causette rapporte qu’en France l’association SOS Violences conjugales a installé des bureaux de certaines de ses salariées dans les locaux des supermarchés. « La sortie pour aller faire ses courses constitue parfois la seule occasion d’échapper à la surveillance du conjoint », informe Thiphaine Thuillier dans un dossier spécial. Mme Houde confirme : « Les gens travaillent désormais de la maison ou ont perdu leur emploi. Ces quelques heures de « répit », lorsque le partenaire violent quittait le domicile, pouvaient être précieuses pour les victimes. Désormais, agresseur et victime sont ensemble parfois 24 h sur 24, avec plus de stress. Aussi, la violence est parfois un moyen de garder le contrôle dans une situation anxiogène », ajoute la directrice par intérim.

En ce moment, la maison de transition pour femmes à Whitehorse doit louer des chambres d’hôtel afin de répondre à la demande, plus haute que la capacité du Centre.

À Dawson, la situation n’est pas plus simple, puisque le Centre d’hébergement ne propose que dix places offertes à sa communauté ainsi qu’à celles de Mayo, Old Crow et Faro. L’organisme souffre lui aussi de difficultés de financement.

Confinement : rester chez soi à tout prix?

Mme Houde est claire au sujet du confinement : « Même en période d’isolement, si tu n’es pas en sécurité chez toi, ne reste pas », affirme-t-elle. Le Centre d’hébergement de Whitehorse Kaushee’s Place offre une ligne de crise (867 668-5733), dispose désormais d’une page Facebook et peut accueillir en personne des femmes 24 h sur 24. « Nous ne pouvons pas offrir des services en français en tout temps, mais nous avons en ce moment trois travailleuses bilingues. À moins que la personne n’arrive à 3 h du matin, il y a de bonnes chances qu’on puisse l’accueillir en français. »

Féminicides

Le terme féminicide n’est arrivé dans les dictionnaires qu’en 2014. Trois ans plus tard, l’Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation (femicideincanada.ca/fr) voyait le jour. En 2019, cet organisme a dénombré plus de 118 meurtres de femmes au Canada, et selon sa compilation des statistiques, c’est au Nunavut, au Yukon, en Alberta et au Manitoba que sont recensés les plus hauts taux de féminicide. Et le constat est indéniable : les femmes autochtones sont les principales victimes de ces crimes.

En moyenne, tous les six jours au Canada, une femme est tuée par son partenaire intime, selon la Fondation canadienne des femmes.

Le 6 décembre 1989 a marqué un féminicide sans précédent. La campagne contre la violence envers les femmes était traditionnellement clôturée à la même date, soulignant ainsi la Journée nationale de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes, en regard du massacre des quatorze jeunes femmes à l’École polytechnique de Montréal. Mais cette année, pas de vigile au Yukon.

La campagne prendra fin le 10 décembre, comme c’est le cas depuis 2017, à l’occasion de la Journée des droits de la personne. « Cette année, à la place de la traditionnelle vigile, nous organisons une levée de fonds sur nos réseaux sociaux, l’intégralité des sommes récoltées sera reversée aux Centres d’hébergement pour femmes du Yukon », annonce l’organisme Les EssentiElles. Cette collecte de fonds sera d’ailleurs l’événement majeur de la campagne des 16 jours, dont le lancement aura lieu lors d’un feu de camp à l’Université du Yukon en collaboration avec l’organisme Blood Ties.

« C’est toujours important de commémorer la journée du 6 décembre, affirme Mme Houde. C’était jusqu’à cette année le plus gros massacre au Canada, et maintenant il a été dépassé depuis le massacre en Nouvelle-Écosse. Ça montre que ces commémorations ont encore lieu d’être. »

En 2017, le taux de crimes violents contre les jeunes femmes et les filles de 24 ans ou moins du Nord était près de trois fois plus élevé que celui des jeunes femmes et des filles du Sud, et près de quatre fois plus élevé que celui de l’ensemble pour le Canada. Il reste donc encore du chemin à faire.

Des moyens d’action à portée de toutes et de tous

Parmi les moyens d’action, cette année, Les EssentiElles misent sur une collecte de fonds. « Nous avons demandé à des entreprises et à des personnes de nous faire des dons pour une vente aux enchères. Certaines femmes autochtones ont offert des œuvres qu’elles ont réalisées. »

L’organisme a par ailleurs déboursé une partie des sommes de son financement annuel dédié aux campagnes pour acheter des cartes cadeaux pour un jeu-concours sur leurs médias sociaux. « Prendre part et partager nos publications sur les médias sociaux est une façon d’agir, affirme Camille Lebeau, agente de projet et adjointe de direction pour l’organisme. Nous allons aussi poser des questions sur nos médias sociaux. L’idée sera de savoir quelles sont les idées de solutions des internautes au lieu de proposer uniquement les nôtres. Quand on fait jouer les gens et qu’on offre des cadeaux, ils sont plus intéressés, ça les fait interagir sur le sujet. »

Si Mme Houde confirme que les stratégies en ligne sont un bon moyen de rejoindre le public (en particulier les plus jeunes), elle ajoute qu’on peut aller plus loin. Elle mentionne notamment le rôle des hommes au sein de cette cause : « Les hommes peuvent aussi faire partie de la solution. En ce moment, le groupe Ruban Blanc Yukon n’est pas actif, mais si vous souhaitez vous impliquer, peut-être pouvez-vous le réactiver! »

Elle souligne également l’intervention des témoins de violence. « Sans nécessairement agir directement, on peut parler avec la victime et lui proposer de l’aide, de l’écoute. » Valider à la victime que le comportement subi était abusif est un moyen positif d’agir. Dire qu’une situation n’est pas correcte permet aussi de faire avancer les mentalités. « Ne pas intervenir, c’est souvent l’équivalent de tolérer les comportements inacceptables », soutient Mme Houde.

Enfin, si vos moyens financiers sont limités, mais que vous disposez de temps, n’hésitez pas à contacter les organismes d’aide aux femmes ou aux victimes de violences qui sont souvent à la recherche de bénévoles.

Le rôle de l’éducation

Comme dans tout activisme, s’éduquer est un point de départ indispensable. À ce sujet, notons que l’ONF sortira le 25 novembre prochain le film Sortir de l’ombre, réalisé par Gentille M. Assih. Ce documentaire met en lumière des Canadiennes d’origine africaine qui reprennent le pouvoir sur leur vie après avoir subi de la violence conjugale. Ce long métrage sera en accès gratuitement sur ONF.ca et des panels virtuels se tiendront début décembre, pour faire écho aux campagnes nationales et locales. Une mini-leçon pour les 14 à 18 ans qui aborde de front la question de la violence conjugale, du consentement et de l’image corporelle sera également mise à disposition du personnel enseignant sur Éducation ONF.

Le film Sortir de l’ombre sortira le 25 novembre prochain. Il présente le récit de femmes immigrantes qui ont réussi à sortir de leur milieu de violence.
Photo : ONF