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le Mercredi 9 septembre 2020 22:09 Société

Refuge arctique d’Alaska : les Gwich’ins ripostent à Donald Trump

La Réserve faunique nationale de l’Arctique abrite une aire de mise bas indispensable à la survie de la harde de caribous de la Porcupine, la plus grande population de caribous des toundras en Amérique du Nord. L’administration américaine a levé le moratoire sur l’activité pétrolière et gazière dans l’aire protégée mis en place par le président Obama.
Photo : Malkolm Boothroyd
La Réserve faunique nationale de l’Arctique abrite une aire de mise bas indispensable à la survie de la harde de caribous de la Porcupine, la plus grande population de caribous des toundras en Amérique du Nord. L’administration américaine a levé le moratoire sur l’activité pétrolière et gazière dans l’aire protégée mis en place par le président Obama. Photo : Malkolm Boothroyd

, l’Aquilon

Le peuple gwich’in intente une action en justice contre l’administration américaine pour faire interdire à nouveau les forages pétroliers dans la Réserve faunique nationale de l’Arctique.

La Réserve faunique nationale de l’Arctique abrite une aire de mise bas indispensable à la survie de la harde de caribous de la Porcupine, la plus grande population de caribous des toundras en Amérique du Nord. L’administration américaine a levé le moratoire sur l’activité pétrolière et gazière dans l’aire protégée mis en place par le président Obama.
Photo : Malkolm Boothroyd

Le 24 août 2020, le Gwich’in, qui représente le peuple gwich’in de l’Alaska et du Canada ainsi que les organismes de protection de l’environnement, a entamé une procédure judiciaire contre le Bureau fédéral de gestion des sols et le secrétaire de l’Intérieur du gouvernement Trump. L’unique organisme canadien à participer au contentieux, parmi les dix organisations, est le chapitre yukonnais de la Société pour la nature et les parcs du Canada. Cette décision intervient une semaine après que le gouvernement américain a annoncé son intention d’autoriser l’octroi de permis d’exploration pétrolière dans la Réserve faunique nationale de l’Arctique sur la côte nord-est de l’Alaska.

Aire protégée de plus de 78 000 km2, la réserve est gérée par le Département américain de gestion de la flore et de la faune et renferme un potentiel de développement économique pour l’Alaska, selon le gouverneur républicain de l’Alaska, Mike Dunleavy. Dans une allocution, celui-ci exprime son enthousiasme à la suite de l’annonce du gouvernement Trump de relancer l’exploitation pétrolière dans le refuge. « C’est un jour historique pour l’Alaska et pour tout le pays. [Cette décision représente] une grande occasion pour créer des emplois, de la richesse et de la sécurité. Nous prenons soin de notre environnement mieux que quiconque. »

Une possible déroute économique

Les organisations de protection de l’environnement qui suivent ce dossier depuis plusieurs années ne l’entendent pas ainsi. Selon la ligue Alaska Wilderness, l’exploitation de forages pétroliers dans le refuge arctique est une aberration fiscale. Selon l’organisme, les revenus générés ne rapporteront pas plus de 37,5 millions de dollars au Trésor américain sur dix ans. Le 14 août 2020, le gouverneur Dunleavy annonçait pour sa part sur son compte Twitter un potentiel en milliards de dollars sur 30 ans ainsi que la création d’un millier d’emplois.

Pour Kate White, députée néo-démocrate à l’Assemblée législative du Yukon, il existe d’autres façons de créer des emplois. « Je pense que considérer le refuge arctique comme une perspective économique ne permet pas d’avoir une vision globale. Il y a d’autres manières pour un gouvernement de créer des emplois et de soutenir son économie », indique-t-elle.

La chute du cours du pétrole en mars dernier ne semble pas être un bon indicateur non plus. Selon le directeur général du chapitre yukonnais de la Société pour la nature et les parcs du Canada, Chris Rider, « autoriser des forages dans cette région est absurde à la fois pour l’environnement et pour l’économie. Le pétrole perd sa valeur en ce moment. »

Désastre potentiel

Comme son nom l’indique, la Réserve faunique nationale de l’Arctique abrite plusieurs espèces animales telles que des ours polaires ou des oiseaux migrateurs. C’est cependant la harde de caribous de la Porcupine qui se trouve au centre des inquiétudes. Lors de sa migration, la harde parcourt plus de 4 800 kilomètres, principalement entre l’Alaska et le nord du Yukon, mais les femelles mettent bas dans leur aire d’hivernage au cœur de la Réserve faunique nationale de l’Arctique, sur le versant nord de l’Alaska. Le chef de la Première Nation Vuntut Gwich’in d’Old Crow, Dana Tizia-Tramm, estime qu’il n’y a pas d’autre option que la voie judiciaire pour faire entendre la voix de son peuple.

« La Nation gwich’ine a survécu, en partenariat avec la harde de caribous de la Porcupine, pendant dix mille ans sur notre terre ancestrale. Nous voyons maintenant que certains dirigeants républicains posent volontairement une plus grande menace à la plus grande migration d’animaux terrestres qui restent sur terre. […] À la lumière de nos meilleurs efforts, il ne nous reste aucune autre option que celle d’intenter une action en justice pour tenir ces personnes responsables, car nous, les Gwich’ins, sommes tenus responsables par nos générations futures. Nos droits, notre avenir, la terre et les animaux ne peuvent pas être achetés, mais d’autres essaient de les vendre », s’indigne le chef dans un communiqué de presse du 24 août 2020.

Un cas inédit dans l’Arctique

Alors que le peuple gwich’in estime que ses droits sont bafoués, Doris Friedrich, attachée supérieure de recherche à l’Arctic Institut, à Washington DC, pense qu’il y a un décalage perçu par les peuples autochtones vivant dans la réserve arctique et les pouvoirs décisionnaires.

« Ils ont tous le sentiment que les autres, qui n’y vivent pas, décident comment ils doivent et peuvent vivre et à quelles ressources ils ont accès. Donc, à mon avis, il s’agit de différents niveaux de luttes de pouvoir, comme c’est le cas pour d’autres problèmes environnementaux. »

Cette action en justice est tout à fait inédite selon Mikaa Mered, professeur de géopolitique des pôles arctique et antarctique à l’Institut libre d’études des relations internationales de Paris. En effet, c’est la première fois qu’il y a dans le haut Arctique (zone côtière de l’océan) une coalition transnationale hétéroclite, mais puissante, pour essayer de faire tomber une ouverture de région aux hydrocarbures dans l’un des États de l’Arctique. »

La décision d’ouvrir cette aire protégée a été prise à la suite d’une loi votée par le Congrès américain. « C’est ça qui est une première et qui en fait un cas très unique, le Congrès oblige le gouvernement à agir et le gouvernement a agi comme le Congrès l’a obligé », explique M. Mered.

Cependant, à moins de trois mois des élections présidentielles américaines, M. Mered estime que Donald Trump, mais également des parlementaires de l’Alaska, cherche à récupérer des votes. Mme Friedrich entrevoit également l’expression d’un geste de pouvoir de la part de l’actuel président, sur les organisations de défense de l’environnement et du Parti démocrate.

Cette affaire, qui sera jugée au tribunal de district de l’Alaska, pourrait faire jurisprudence selon M. Mered. Outre une étude de l’impact environnemental, aucune étude des impacts socioéconomiques sur les communautés autochtones n’a été rendue.

« Si le grief qui est aujourd’hui déposé à l’endroit du ministère de l’Intérieur par les peuples autochtones de la coalition qui portent plainte — à savoir que ceux-ci n’ont pas été consultés dans le cadre de l’étude d’impact environnemental — était reconnu par un tribunal fédéral américain, cela pourrait tout à fait faire jurisprudence à l’avenir pour les prochains projets en Alaska comme ailleurs », conclut-il.