et Jean-Pierre Dubé (Francopresse)
Ottawa vient d’annoncer le 4 septembre dernier la signature d’un protocole d’entente de plus d’un milliard de dollars pour soutenir l’éducation dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Une ombre semble pourtant se poser sur ce tableau : Mélanie Joly a signé ce protocole, mais la ministre n’a pas distribué des exemplaires à ses invités ni diffusé le document. Pour cause : le texte est confidentiel en attendant la signature des provinces et territoires.
Dans un effort qui clame haut et fort son soutien à l’essor des communautés en situation minoritaire partout au Canada, le gouvernement fédéral vient d’annoncer la signature d’un protocole avec à la clé, une enveloppe budgétaire accrue de plus de 60 millions de dollars pour l’enseignement. Cette majoration, prévue dans le dernier budget fédéral, est la première augmentation significative depuis dix ans, dans le cadre du Plan sur les langues officielles en éducation (PLOE), selon le communiqué.
Investissement accru pour l’enseignement en milieu minoritaire
Mélanie Joly a annoncé que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux se sont entendus sur le texte. L’entente prévoit un investissement fédéral de plus d’un milliard de dollars sur quatre ans pour soutenir l’enseignement en français dans les communautés qui vivent en situation minoritaire au pays, l’enseignement en anglais dans les communautés d’expression anglaise du Québec et l’enseignement de la langue seconde, et ce, pour la période de 2019—2020 à 2022—2023. Le Québec n’a pas adhéré au protocole.
Selon la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF) dont fait partie la Commission scolaire francophone du Yukon (CSFY), cette annonce « marque une nouvelle ère de collaboration entre les provinces et les territoires ».
« L’éducation est un pilier nécessaire à la vitalité des communautés de langue officielle en milieu minoritaire et la promotion du bilinguisme partout au pays. Ce protocole d’entente est le fruit d’une collaboration soutenue avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et le Conseil des ministres de l’Éducation (Canada) dans le but de renforcer l’éducation dans la langue de la minorité et l’enseignement de la langue seconde en concertation avec les différents intervenants dans le secteur pour que les investissements reflètent mieux leurs priorités », affirme la ministre du Tourisme, des Langues officielles et de la Francophonie.
Selon le recensement de 2016 de Statistique Canada, les communautés francophones hors Québec représentent 3,8 % de la population et les communautés anglophones du Québec 13,7 %. Le taux de bilinguisme des anglophones hors Québec est de 6,8 %. Le Yukon, quant à lui, se situe en troisième place des provinces ou territoires les plus bilingues au pays, derrière le Québec et le Nouveau-Brunswick.
Selon Statistique Canada, le nombre d’élèves inscrits dans les programmes d’immersion a augmenté de 47,8 % de 2006—2007 à 2016—2017, tandis que le nombre d’élèves inscrits dans des écoles francophones en milieu minoritaire a augmenté de 14,3 %.
Une entente pas encore signée
Signé par la ministre, le texte attend cependant la ratification des provinces et territoires qui l’auraient cependant déjà accepté. Sans en connaître les détails, semblerait-il.
Les intervenants en éducation n’ont pas été en mesure de citer les détails de l’entente, et le Service de relations avec les médias du ministère explique pourquoi. « Le nouveau protocole sera rendu public une fois ratifié par tous les signataires, d’après la porte-parole Martine Courage. En attendant, vous pouvez consulter le protocole précédent. »
Même réponse au Conseil des ministres de l’Éducation (Canada), l’intermédiaire entre les trois paliers de gouvernement. « Les provinces et territoires font actuellement les démarches internes pour faire approuver et signer le protocole », précise Colin Bailey, le directeur des communications. Au Yukon, même réponse. La signature n’a pas encore eu lieu. La CSFY ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet, puisque les détails ne sont pas encore connus et rendus publics.
Annonce préélectorale ou sécurisation des fonds?
« Si j’étais un conseil scolaire, remarque le politologue Rémi Léger, je me dirais : c’est un peu plate, ça sent pas mal les élections. Légalement, il n’y a pas de problème; éthiquement, on est à quelques jours du lancement de la campagne et le fédéral a fait beaucoup d’annonces. On aurait aimé que ça sorte plus tôt. »
Mais le temps pressait, selon le chercheur de l’Université Simon Fraser. « Ça fait 18 mois qu’on attend l’argent. Si l’annonce n’était pas faite avant la campagne, ça nous poussait jusqu’à 2020. » Entre-temps, dit-il, certains conseils scolaires subiraient des difficultés financières.
On peut également imaginer le scénario inverse. Le gouvernement aurait-il annoncé ce protocole afin de l’entériner avant les élections, pour le sécuriser en cas de vent de changement politique?
Quoi qu’il en soit, le politologue conteste l’officialisation du pacte sans la ratification des partenaires. « Le plus étonnant, c’est que la ministre puisse annoncer un nouveau protocole même si elle est la seule à l’avoir signé. »
Une fois le processus complété, l’entente-cadre sera disponible sur le site Web de Patrimoine canadien selon la directrice générale de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, Valérie Morand, présente à l’événement ministériel. « Nous pourrons donc avoir tous les détails et la FNCSF sera en mesure de répondre aux questions. »