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le Jeudi 13 juin 2019 8:06 Société

Femmes et filles autochtones : le rapport dénonce un génocide

Le premier ministre Trudeau, accompagné de son épouse, Sophie Grégoire, et de la ministre des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett, accueille une participante au dévoilement du rapport d’enquête.
Photo :  Compte Twitter de la ministre Carolyn Bennett
Le premier ministre Trudeau, accompagné de son épouse, Sophie Grégoire, et de la ministre des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett, accueille une participante au dévoilement du rapport d’enquête. Photo : Compte Twitter de la ministre Carolyn Bennett

Jean-Pierre Dubé (Francopresse) et Maryne Dumaine

L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) qualifie de génocide la violence dirigée contre les membres des Premières Nations depuis la Confédération. La Commission créée par Ottawa a donné une voix à 1400 survivantes ou proches des victimes. Le rapport de 1200 pages remis au premier ministre Trudeau le 3 juin lance une réflexion sur le génocide.

Le premier ministre Trudeau, accompagné de son épouse, Sophie Grégoire, et de la ministre des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett, accueille une participante au dévoilement du rapport d’enquête.
Photo : Compte Twitter de la ministre Carolyn Bennett

Le sommaire du rapport est disponible en ligne à bit.ly/2EU7Vu4. Les principales structures qui y sont dénoncées sont la Loi sur les Indiens, la rafle des années 1960 et le régime des pensionnats autochtones, des mesures officielles échelonnées sur 150 ans.

« Ce pays est en guerre et les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA sont en état de siège », s’indignent les commissaires présidés par la juge Marion Buller. Les lois et les institutions maintiennent la violation des droits de la personne et ceux des Autochtones. « Ces atteintes s’apparentent ni plus ni moins à un génocide planifié et souvent dissimulé. Cette tragédie perpétuée en sol canadien ne cadre pas avec les valeurs que le pays prétend défendre. »

Le rapport stipule notamment que « la colonisation renvoie au processus par lequel les peuples autochtones ont été dépossédés de leurs terres et de leurs ressources, tout en étant assujettis à un contrôle et ciblés à des fins d’assimilation et d’extermination. Le colonialisme est une structure qui comprend de nombreux événements différents — tous créés à partir de la même logique destructive ».

« En tant qu’organisme qui représente les intérêts des femmes, on est touchées par un rapport comme celui-là. C’est un rapport qui fait mal. On a du chemin parcouru, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire », a déclaré Jocelyne Isabelle, directrice des EssentiElles.

« La mort à petit feu pour des générations »

Marion Buller soutient que le mot choisi pour nommer les torts est incontournable. « On pense souvent au génocide comme l’Holocauste ou des tueries en Afrique. Mais le type que nous avons au Canada est la mort à petit feu, pour des générations. »

D’après les commissaires, l’agression systémique s’est installée dans les relations, les actions et les inactions des forces de l’ordre avec les Autochtones et entre les citoyens. « Le racisme, le sexisme, l’homophobie et la transphobie se sont immiscés dans la vie de tous les jours sous différentes formes de violence interpersonnelle. Il en résulte que de nombreux Autochtones en sont venus à normaliser la violence, alors que la société canadienne affiche une indifférence lamentable quant à la résolution de cet enjeu. »

« Le viol peut constituer de la torture »

L’avocate des droits de la personne Anne Lévesque soutient que l’approche de la Commission est novatrice et pourrait faire évoluer le concept : « L’analyse juridique à l’appui de l’interprétation des faits est très bien étoffée. Ça rejoint des développements récents par rapport au génocide. »

Une telle évolution ne serait pas nouvelle, par exemple quant au droit à la sécurité. « À l’origine, c’était conçu comme le droit d’être à l’abri de la brutalité policière ou de l’État. Mais on reconnaît aujourd’hui que la violence conjugale est une atteinte à la sécurité. Il y a 15 ans, on ne croyait pas que le viol pouvait constituer de la torture et c’est maintenant reconnu sur le
plan international. »

Notre conception du phénomène [de génocide] est peut-être trop étroite, suggère l’avocate d’Ottawa. « Si l’on tient compte de l’expérience des femmes et des Autochtones, les meurtres et les disparitions peuvent constituer un génocide dans un sens plus large », a-t-elle déclaré. « Quand on pense à sa conception traditionnelle, on pense surtout à l’Holocauste. Mais la version coloniale, c’est quelque chose d’insidieux pratiqué au fil des décennies, sinon des siècles. Cette reconnaissance fera des vagues pas juste au Canada, mais à l’étranger, qui vont pousser le gouvernement à agir. »

« Solutions autodéterminées par les Autochtones »

Parmi ses 231 recommandations, l’ENFFADA insiste sur la création d’un poste d’ombudsman et d’organismes de surveillance policière, ainsi qu’un tribunal des droits des Autochtones et de la personne. La Commission exige des actions de tous les gouvernements en matière de santé, d’éducation, de sécurité et de culture, « des solutions autodéterminées et des services dirigés par les Autochtones ».

Justin Trudeau s’est engagé à élaborer un plan d’action national et de prendre « des mesures concrètes, cohérentes ».