(Francopresse)
Selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), huit millions de tonnes de déchets plastiques se déversent dans les océans chaque année. Ces déchets marins nuisent à plus de 600 espèces marines et si rien n’est fait, près de 99 % des oiseaux marins auront ingéré du plastique d’ici à 2050.
Ces chiffres alarmants sont-ils plus significatifs dans le Nord canadien? Si les trois territoires ont des défis particuliers à relever, notamment dus à leur situation géographique, il n’en reste pas moins que des initiatives zéro déchet ont vu le jour à l’échelle territoriale.
La législation dans le Nord
Il y a huit ans, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a affiché clairement sa position quant à la pollution liée aux emballages plastiques. En effet, le 1er février 2011, des frais de 25 cents s’appliquaient pour chaque sac en plastique utilisé par un consommateur dans une épicerie. Régie légalement par le Northwest Territories’s Waste Reduction and Recovery Act, cette initiative a permis la réduction de 70 % de l’utilisation de sacs en plastique à usage unique. De son côté, la North West Company, une multinationale canadienne de l’épicerie et de la vente au détail, a cessé de pratiquer la gratuité des sacs en plastique dans ses magasins du Nunavut et du Nunavik (Québec) en janvier 2011.
Le Yukon fait office de mauvais élève en la matière puisqu’actuellement, aucune loi ne régit la distribution des sacs en plastique sur le territoire. Cependant, l’organisme Zero Waste Yukon (créé en 2014 par Raven Recycling) a enclenché en 2018 une campagne de sensibilisation au problème du plastique et a mis en place une pétition. « [Imposer] des frais sur les sacs à usage unique est un petit pas, mais c’est une action qui ouvre la voie pour faire davantage », explique Ira Webb, coordonnateur du programme Zero Waste Yukon.
Les 1689 signatures recueillies ont été remises au gouvernement du Yukon le 3 avril 2019 par l’intermédiaire de Kate White, députée à l’Assemblée législative et membre du Nouveau Parti démocratique. « Le plastique à usage unique met plusieurs centaines d’années à se décomposer. La quantité de déchets plastiques dans nos sites d’enfouissement coûte cher aux gouvernements et l’impact de la pollution par les plastiques sur notre nature et nos océans est bien connu. Il est temps que le gouvernement agisse. »
Le Yukon : des initiatives sans emballage
Plusieurs commerces de Whitehorse, capitale du Yukon, n’ont pas attendu les prémisses des changements législatifs pour prendre clairement position. En effet, l’Alpine Bakery, boulangerie emblématique de la ville depuis une trentaine d’années, a toujours fait figure de précurseure en la matière. Alors que la gestion et le tri des déchets n’étaient pas au cœur de l’actualité, les premiers propriétaires de l’établissement triaient leurs déchets afin de faire du compost. « Depuis le début, la boulangerie fait beaucoup d’efforts et avant les autres commerces, on proposait déjà de la vaisselle compostable [verres et bols] pour la nourriture à emporter », pense Marjolène Gauthier, l’une des responsables de la boulangerie.
Puis, dans le cadre de la Semaine canadienne de réduction des déchets qui s’est tenue du 15 au 21 octobre 2018, une étape supplémentaire a été franchie; les sacs en plastique habituellement proposés lors de la vente des pains ont tout simplement disparu. Selon Mme Gauthier, l’une des raisons est liée au devenir du sac une fois sorti de l’enceinte du commerce : « On n’a pas le contrôle sur le devenir du sac en plastique à l’extérieur : est-il vraiment recyclé ou est-ce qu’il est mis aux déchets? »
Face à certaines réactions parfois mitigées, bien que très limitées en nombre de la part de leur clientèle, plusieurs solutions pour conserver le pain ont été proposées. Parmi elles, la conservation dans un sac en tissu. Ces sacs de lin sont entièrement cousus et conçus à Whitehorse, le circuit court est privilégié : « C’est important pour nous de proposer un produit qui est fait à 100 % ici. La solution passe par le sac en tissu pour le pain », précise la responsable. Le changement dans les habitudes de la clientèle peut s’avérer long, mais « le momentum est là et à chaque fois qu’un client est influencé, on avance lentement, mais on avance ».
Plusieurs épiceries de la ville proposent des produits en vrac, mais certaines initiatives se démarquent, comme celle de la Yukon Soaps Company. Basée dans le village de Mayo, à plus de 400 kilomètres au nord de Whitehorse, Joella Hogan, propriétaire de l’entreprise depuis 2011, affiche fièrement sa culture et ses propres valeurs à travers ses savons : « C’est important pour moi de créer des produits qui ont une petite empreinte environnementale et qui sont faits avec des ingrédients locaux autant que possible. »
Alors qu’elle profite d’un énorme soutien de sa communauté, Mme Hogan poursuit le cercle en engageant des jeunes de sa communauté lors des activités de cueillette de fleurs. Elle avoue avoir pu recréer un lien avec la terre et être ainsi en contact direct avec l’apprentissage traditionnel reçu durant son enfance. « J’ai grandi avec de nombreux enseignements de médecine traditionnelle, de savoirs autochtones et mon commerce est une excellente manière de les rassembler », précise-t-elle.
La transition vers le zéro déchet a été facile et Mme Hogan n’a fait face à aucune difficulté particulière. Vendus en vrac dans différents commerces et épiceries de Whitehorse, ses savons et shampoings en barre sans emballages sont populaires dans le territoire. La philosophie de Mme Hogan semble avoir fait des adeptes : « Faire la cueillette des fleurs en ayant du respect du début à la fin et avoir moins d’emballages est une question de respect. Utiliser des savons avec moins d’emballages peut paraître insignifiant, mais c’est un problème important et c’est un petit pas facile que les gens peuvent faire. »
Quand le savoir traditionnel inuit rencontre le zéro déchet
Bernice Clarke est originaire d’Iqaluit, capitale du Nunavut. Elle fabrique des savons depuis 2012 et s’inspire du savoir traditionnel inuit. Son commerce s’appelle Uasau, ce qui signifie « agent lavant » en inuktitut, et ses savons ont des ingrédients traditionnels thérapeutiques comme les lichens, les algues ou encore de la graisse de baleine boréale.
Consciente de l’importance d’utiliser le savoir traditionnel lors de la préparation de ses savons, Mme Clarke a ajouté la graisse de baleine à ses produits, sur les conseils d’une personne aînée de sa communauté. « Elle a reçu de vieilles connaissances inuites sur le pouvoir de guérison de la graisse de baleine boréale. Elle savait que mes produits guérissaient l’eczéma de son frère et voulait ajouter un pouvoir supplémentaire de guérison dans mon savon », explique-t-elle.
Mme Clark précise que les Inuits, respectueux de l’animal, ne font pas, de façon générale, de surpêche et attrapent uniquement selon les besoins de la communauté : « Nous sommes respectueux lors de la chasse et nous observons des rituels pour apaiser l’esprit de l’animal. »
Emballages biodégradables, produits naturels et locaux, les savons Uasau sont peut-être l’expression d’un renouveau du savoir traditionnel à l’échelle nordique dans un esprit de réduction des déchets. « Nous, les Inuits, nous ne gaspillons pas. Tout est utilisé, réutilisé et remis à neuf et j’applique ça à mon entreprise aussi », conclut Mme Clarke.