Les sentiments d’inquiétude, d’angoisse ou de fatigue touchent le quotidien des personnes aidantes qui s’occupent d’un proche qui est malade. Au Yukon, l’isolement dû à la langue et à la distance géographique s’ajoute aux défis rencontrés par l’aidant naturel.
Le soutien envers un parent ou un ami malade débute souvent par de petits gestes ici et là. Un accompagnement chez le médecin ou à l’épicerie. Puis s’installent tranquillement les tâches associées aux soins de la personne, ainsi que celles associées à la médiation entre la personne et les services sociaux, bancaires ou juridiques. Et, finalement celles associées à la coordination de divers services. Bien vite, la personne aidante se sent alors dépassée.
« De manière générale, les aidants ont peu de soutien, ils sont fatigués et meurent souvent de fatigue bien avant les gens dont ils s’occupent », observe la Franco-Yukonnaise Céline Yergeau qui avait mis sur pied dans les années 1990 un volet de la Société d’Alzheimer à Drummondville au Québec. « Le défi est plus grand ici au Yukon à cause de la langue », ajoute-t-elle. Elle avait eu l’intention en début d’année de répéter l’exploit, mais cette fois-ci au Yukon, en y créant un volet de la société Alzheimer en français. Car, jusqu’à présent, bien que la société mentionne sur sa page Web qu’elle est présente partout au pays, elle n’a jusqu’à présent aucune activité au Yukon, que ce soit en anglais ou en français.
Toutefois, en raison de l’ampleur du travail lié à la mise sur pied d’un tel projet ainsi que d’autres facteurs d’ordre personnel, Mme Yergeau a dû arrêter ses démarches. « On avait besoin de plus de gens, car c’est beaucoup de travail pour une seule personne », explique-t-elle en soulignant qu’elle demeure toutefois disponible pour les gens en quête de conseils. « Ça me fait toujours plaisir d’aider les gens à sécuriser leur maison, par exemple, en fonction de la maladie d’Alzheimer, ou les aider à faire les démarches nécessaires afin d’obtenir pour leur proche parent le bracelet d’Alzheimer. Mais pour l’instant, je dois malheureusement admettre que je ne peux pas en faire plus », confie-t-elle.
En ce moment, lorsque les personnes aidantes au Yukon ont besoin de se raconter, ils se tournent vers Joanne Lewis. Depuis maintenant huit ans, tous les 2e mercredi du mois, Joanne Lewis invite les gens à se rencontrer habituellement à la Bibliothèque publique de Whitehorse afin de partager leur expérience. Il s’agit de gens qui prennent soin d’un proche qui est à la maison, dans un centre de soins prolongés ou qui habite à l’extérieur du Yukon.
« Ce ne sont pas des rencontres thérapeutiques, mais plutôt des occasions qui sont offertes aux gens de partager leur expérience et les stratégies qui fonctionnent dans leurs interventions. Ça permet surtout de briser l’isolement dans lequel la culpabilité et la frustration entraînent les personnes aidantes », confie Joanne Lewis. « Les rencontres se déroulent en anglais, mais il y a parfois un francophone sur place qui peut aider à la traduction. Je suis vraiment triste d’apprendre que le projet en français n’aura finalement pas lieu », regrette-t-elle. Toutefois, Patricia Brennan qui s’occupe du dossier des personnes aînées du Yukon à l’Association franco- yukonnaise affirme que ce n’est que partie remise. Elle garde espoir de rassembler assez de bénévoles franco-yukonnais pour relancer éventuellement le processus.
La réalité franco-yukonnaise
Au Yukon, on rencontre différents scénarios vécus par les personnes aidantes. Les conjoints des familles exogames par exemple doivent jongler avec le besoin pour l’un d’obtenir du support dans les deux langues.
D’autre part, la migration marquée chez la population francophone s’ajoute aux défis rencontrés. Plusieurs sont partis de loin pour venir s’établir au Yukon. Ainsi, lorsque vient le temps de s’occuper des parents vieillissants qui habitent toujours dans leur lieu d’origine, plusieurs décisions s’imposeront afin d’arriver à gérer la situation à distance. En plus de la distance, il y a également l’information et les ressources qui varient énormément selon la province ou le territoire où habite ce parent. Il devient alors difficile de comprendre à distance quelles ressources locales sont disponibles.
Pour cette raison, certains décideront de quitter le Yukon afin de se rapprocher de leur famille souffrante. Cette décision implique parfois la perte de son emploi ou le déménagement de toute la famille. D’autres décideront de faire l’inverse, c’est-à-dire d’accueillir le parent malade au Yukon. Dans de tels cas, il leur faudra attendre une année complète afin que le parent en perte d’autonomie puisse être admissible à l’un des centres de services de longue durée du Yukon. Pendant cette période, les tâches de la personne aidante vont alors s’amplifier.
« On est souvent mobile ici au Yukon. L’individu franco- yukonnais est appelé à être intervenant dans une autre juridiction et personnellement j’ignore quels sont les services qui existent ailleurs au Canada », explique Sandra St-Laurent, directrice du Partenariat communautaire en santé (PSC) au Yukon. D’ailleurs, les efforts du PCS ces dernières années s’inscrivent dans un désir de soutenir les personnes aidantes francophones au Yukon à travers différentes stratégies. « Nous voulons outiller les personnes aidantes, car c’est important qu’elles prennent soin d’elles. Elles sont souvent les seules interfaces entre le patient et le système. L’aidant est crucial, mais il a un rôle très exigeant. Il vit donc avec un poids énorme », souligne Sandra St-Laurent. « Et au Yukon, on fait face à un manque de services en français pour les aider. Puisque le système n’est pas basé sur les besoins de la communauté, on doit alors être très vigilant. Il existe au Yukon des programmes qui sont adaptés aux besoins des Yukonnais anglophones. Mais traduire en français ces programmes ne signifie pas nécessairement qu’ils répondent spécifiquement aux besoins de notre communauté francophone. Les besoins vont au-delà de la traduction », insiste-t-elle. « Malheureusement, ce qui nous nuit dans nos démarches de subventions pour la création de projets adaptés à notre communauté, c’est le petit nombre de francophones au Yukon. Mais pour nous, on n’a pas besoin des chiffres pour agir. On travaille donc en ce moment sur du cas par cas », précise Sandra St-Laurent.
Situation au Canada
Selon l’Enquête sociale générale menée en 2012 au pays, près de la moitié des Canadiens âgés de 15 ans et plus, soit 13 millions de personnes, avaient fourni, au cours de leur vie, une forme quelconque de soins à un membre de la famille ou à un ami ayant un problème de santé de longue durée, une incapacité ou des problèmes liés au vieillissement.
En 2012, 28 % des problèmes liés au vieillissement étaient la raison principale d’offrir des soins par les aidants familiaux. Venaient ensuite le cancer, les maladies cardiovasculaires, les problèmes de santé mentale et finalement la maladie d’Alzheimer ou la démence.
Pour certains aidants familiaux, la prestation de soins équivalait parfois à un emploi à temps plein. Ainsi, environ un aidant familial sur dix consacrait 30 heures et plus par semaine à fournir des soins d’une quelconque façon à un membre de la famille ou à un ami malade.
Toujours selon cette étude, les femmes sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes à consacrer 20 heures et plus par semaine à prodiguer des soins.