Au temps de la Ruée vers l’or du Klondike, deux francophonies se côtoient : celle des champs aurifères et celle de Dawson City. Quarante kilomètres les séparent. Langue et foi unissent et créent un réseau d’entraide.
Auzias Turenne, important propriétaire foncier du Klondike déclare dans un livre qu’il publiera que « la plus grande partie des placers du (ruisseau) Dominion appartiennent à des Canadiens-Français ». Caroline Boucher mentionne dans le livre Empreinte que les deux endroits où les francophones sont les plus nombreux sont appelés le « Petit Paris » et le « Petit Québec », et que la plupart d’entre eux font partie du Syndicat lyonnais du Klondike fondé par Louis Paillard, originaire de France.
Les ordres religieux catholiques érigent églises et chapelles : Saint-Joseph à Bonanza (La Fourche), Sainte-Famille à Dominion, Saint-Antoine à Hunker, Saint-Pierre à Last Chance, Saint-André à Sulphur, et des chapelles comme à Gold Run. Les pères Oblats, francophones, y administrent les sacrements. Les cérémonies religieuses sont les occasions de rassemblements des deux francophonies.
Mariages, naissances et décès ponctuent la vie sur les champs aurifères. Le mariage de Marie Fortin, sœur d’Émilie Tremblay, et d’Onésime Gravel, célébré par le père Alphonse Desmarais, témoigne de la solidarité canadienne- française (voir encadré).
Le père Joseph Crimont célèbre le mariage du soi-disant comte Carbonneau avec la richissime entrepreneure Belinda Mulhoney. La francophonie de Dawson vient à la Fourche (Bonanza). Sont présents, le registraire aux mines, Joseph-Ena Girouard, le futur commissaire à l’or, F.-X. Gosselin, les membres de l’influente famille Barrette de Dawson, Norbert, son frère Joseph avec son épouse, Flore Dufresne, ses filles, dont Alice qui mariera Aimé, le fils du juge Dugas. Pour manifester statut et opulence, le couple fait poser l’électricité dans l’église. Le couple n’a pas que des amis. Les fils sont coupés. Le charme de la bougie est noté! Le menu du banquet est en français. Le « comte » « avait fait venir d’Europe, le plus merveilleux lit », dira Belinda.
Entraide et dangers
Dans le rude environnement des champs aurifères, on s’entraide. Une nuit, Émilie Tremblay est appelée auprès d’une jeune métisse malade qui habite à trois milles de chez elle. Celle-ci donne naissance à un garçon. Émilie Tremblay raconte dans ses mémoires : « Je demeurai un jour de plus avec elle pour m’assurer de son rétablissement. Je rencontrai le lendemain le père Desmarais et lui parlai du nouveau bébé… Jack et moi l’accompagnâmes. Nous fûmes le parrain et la marraine de cet enfant que nous appelâmes Henri. Je remplis cette fonction de marraine 26 fois… J’en ai baptisé plusieurs moi-même. »
Le mineur Lorenzo Létourneau mentionne dans son journal les tragédies sur les champs aurifères : « Le 12 mai (1901) Ernest Blais, employé de nuit pour dégeler le sol dans le puits de Leroux et Bouchard, s’est fait enterrer vivant par la terre gelée qui s’est détachée du sommet de la mine. » Le 15 juin, il écrit : « Un nommé Grégoire… travaillant dans la mine de Bouchard s’est fait écraser à mort. Il laisse son épouse et cinq enfants. » Le 22 juillet 1900, il rapporte : « Un jeune mineur nommé Labbé (Joseph-Edgar, 22 ans) s’est fait tuer sur le n° 14 Eldorado […]. Un paquet de terre lui est tombé sur la tête. C’est le troisième qui se fait tuer de cette manière depuis deux mois. » Comme plusieurs pionniers, sa dépouille repose au cimetière catholique Sainte-Marie de Dawson, quarante kilomètres au-delà des champs aurifères.
Langue et foi offrent un espace de bien-être où s’expriment identité, appartenance à un espace francophone nord-américain et entraide. Ce lien signifie réconfort et solidarité.
Solidarité sur les champs aurifères : mariage de Marie Fortin et d’Onésime Gravel
« En juin 1901, Émilie (Fortin-Tremblay)… avait fait des décorations pour la tente et un bouquet pour la mariée (sa sœur, Marie Fortin). Quatre-vingts hommes (de la mine no 17 El Dorado, de Narcisse Picotte), venus en habits de travail : salopettes, hautes bottes de mineurs, chapeau Klondike… assistèrent à la cérémonie. Il n’y eut ni chant ni tintement de cloche, mais un amateur joua quelques airs sur un harmonium portatif… Tous se rendirent en file indienne à la maison des Tremblay par un sentier tracé à travers les bois calcinés… Le lendemain, Onésime (Gravel) continua à miner… Comme cadeaux de noces, un mineur leur avait offert un beau gâteau de Noël qu’il avait conservé; d’autres s’étaient cotisés pour acheter au marié une bague du Yukon, portant en chaton une pépite d’or, et à la mariée une épingle ornée elle-aussi d’une pépite estimée à soixante piastres. »
(Une Pionnière du Yukon, M. Bobillier, Société historique du Saguenay, p. 51-53.)
Une photo dans le Dawson News de 1902 immortalise ce rassemblement. Cependant, la qualité de la reproduction de journal limite son utilisation.