Pierre-Luc Lafrance
Au cours de la prochaine année, l’Aurore boréale vous offrira dix portraits (un par mois) d’immigrants francophones qui ont choisi de s’installer au Yukon. Avant de montrer ces différents visages de la Franco-Yukonnie, nous allons dresser un portrait de la situation de l’immigration francophone au territoire.
Entre 2011 et 2013, l’immigration francophone au Canada (hors Québec) a connu une baisse, passant de 2 % des quelque 250 000 nouveaux arrivants annuels à 1,3 %. Avec la mise en place du programme Entrée express en janvier, les objectifs en terme de nombre d’immigrants au total au pays ont été revus à la hausse, principalement par une augmentation de la cible des immigrants économiques. Là où cela devient inquiétant, c’est qu’historiquement, chaque fois que le Canada augmente le nombre d’immigrants global, le pourcentage de nouveaux arrivants francophones à l’extérieur du Québec a tendance à diminuer. Cela est d’autant plus préoccupant que le programme Avantage significatif francophone a disparu à l’automne et qu’aucune mesure propre aux francophones n’a encore été intégrée au programme Entrée express.
Lors des dernières années, on a aussi noté une diminution du nombre d’immigrants originaires de l’Europe, alors que les nouveaux arrivants sont plus nombreux en provenance de l’Afrique. Pour 2013 seulement, on compte 3 358 nouveaux arrivants francophones au pays. Du lot, 1 436 sont ce qu’on appelle des immigrants économiques, 866 sont des réfugiés, et 902 sont des gens qui ont déjà de la famille au pays.
Et au Yukon?
Selon Sophie Delaigue, agente de projet en immigration à l’Association franco-yukonnaise, on estime qu’il y a entre 200 et 250 immigrants francophones au Yukon. « Les chiffres exacts sont difficiles à obtenir. Ce qu’on sait, c’est que la grande majorité, autour de 90 %, provient de la France. Ensuite suivent les Belges et les Suisses. Les Africains représentent moins de 1 % des immigrants francophones au territoire. »
Malgré des chiffres modestes, les immigrants représentent 15 % de la population francophone au territoire, donc leur apport est essentiel à la vitalité de la communauté. D’ailleurs, la France est le cinquième pays d’origine le plus courant chez les immigrants au territoire après les Philippines, l’Allemagne, l’Inde et la Grande-Bretagne.
Il y a peu d’immigrants francophones dans les communautés. La plupart vivent à Whitehorse et dans les environs où il y a plus de commodités. De plus, une partie importante de cette population a choisi le Yukon comme deuxième ou troisième destination. En clair, cela veut dire qu’ils sont d’abord arrivés au pays dans une autre province avant de déménager ici.
Colin Bosc, employé en emploi et en développement économique à l’Association franco-yukonnaise, rencontre une trentaine d’immigrants francophones par année pour le service à l’emploi. « C’est dur de dresser un portrait précis, mais la plupart sont des Français de 29 à 30 ans. Ils ont terminé leurs études et veulent voyager. Plusieurs ont eu des emplois en France ou à l’étranger, et ils en ont eu ras le bol. Ils veulent vivre une expérience différente. Certains viennent une première fois comme touristes ou pour visiter avant de préparer le déménagement. »
Selon M. Bosc, les immigrants démontrent une volonté de changement et un goût de l’aventure. « C’est différent de la France et même des autres grandes villes au Canada. Il y a un contact plus proche avec la nature. Les gens me disent qu’ils apprécient d’avoir un rythme de vie plus équilibré, loin du métro-boulot-dodo. »
Des services adaptés
Cela fait des années que l’Association franco-yukonnaise offre des services en immigration. « Avant 2010, on offrait des services bilingues aux nouveaux arrivants, rappelle Mme Delaigue. Depuis, on offre les services en français selon un modèle de guichet unique. Dès que les gens arrivent en ville, qu’ils soient résidents permanents ou qu’ils songent à s’installer, ils peuvent venir au Centre de la francophonie. On commence par identifier leurs besoins. On peut les diriger vers des ressources pratiques (pour le logement par exemple). On peut aussi les accompagner avec des services en emploi (reconnaissance de diplôme, refonte de C.V., aide à la recherche d’emploi). Beaucoup d’immigrants sont ici avec le Programme de vacances-travail (PVT). Lorsqu’ils veulent rester, on peut les aider à déterminer quelles sont les prochaines étapes à leur intégration et sur quel visa ils peuvent basculer. On mise sur des services concrets. »
Colin Bosc gère aussi les demandes d’information qui viennent de l’extérieur du pays. En général, il reçoit de 50 à 70 demandes par année. Du nombre, deux ou trois personnes finissent par venir au territoire.
Des obstacles
Les principaux obstacles rapportés par les immigrants touchent la question de l’emploi. « Aujourd’hui, l’immigration passe souvent par une entente avec un employeur, soutient M. Bosc. Il faut soit qu’un employeur offre un emploi, soit que l’immigrant passe par le programme des nominés. À cela s’ajoute la question de la langue. » En effet, pour plusieurs emplois, il est essentiel de bien maîtriser l’anglais, ce qui n’est pas le cas de tous les nouveaux arrivants. M. Bosc note aussi une différence depuis la fin de l’avantage significatif francophone, car cela simplifiait beaucoup un processus qui peut être plutôt lourd.
L’autre grand problème vécu par certains immigrants est plus subjectif. « Les gens espèrent changer de vie. Ils ont des aspirations professionnelles. Mais immigrer est déjà un gros projet en soi, ce n’est pas évident de concilier les deux. Il faut souvent que les gens fassent des compromis sur le travail, pendant un an ou deux, pour simplifier les choses. Certaines personnes me disent qu’ils voudraient rester, mais pas à ce prix-là. Certains ne voient pas que le processus d’immigration demande beaucoup d’effort et d’énergie. C’est un peu comme repartir à zéro. De plus, la plupart des ressources sont en ligne et les gens doivent se débrouiller avec ça et les différents formulaires à remplir. »
M. Bosc a vu partir différents immigrants lors de la dernière année. « Ce ne sont pas de grands nombres, mais ces gens qui partent en voyage, qui retournent en Europe ou qui déménagent dans une autre région du Canada, on les a perdus et le renouvellement ne se fait pas au même rythme. » M. Bosc ne sait pas si c’est l’histoire d’une année ou si une nouvelle tendance se dessinera en ce sens, mais il croit qu’il faut faire un effort de promotion et d’accompagnement, puisque les immigrants francophones sont essentiels à la vitalité de la communauté.