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le Vendredi 10 octobre 2014 8:00 Société

De femme de chambre à professeure, il n’y a qu’un pas

Hélène Tardif-Poole est très fière du bâtiment d’entraînement que ses élèves ont construit cette année. Photo : Françoise La Roche.
Hélène Tardif-Poole est très fière du bâtiment d’entraînement que ses élèves ont construit cette année. Photo : Françoise La Roche.

Françoise La Roche

Un bon matin, il y a plusieurs années, Hélène Tardif-Poole réalise que ses amis qui travaillaient comme menuisiers gagnent beaucoup plus d’argent qu’elle en moins d’heures de travail. Elle décide alors de laisser tomber son emploi de femme de chambre à Dawson pour aller suivre des cours de menuiserie au Collège du Yukon.

Hélène Tardif-Poole est très fière du bâtiment d’entraînement que ses élèves ont construit cette année. Photo : Françoise La Roche.

Hélène Tardif-Poole est très fière du bâtiment d’entraînement que ses élèves ont construit cette année. Photo : Françoise La Roche.

L’expérience qu’elle possédait dans le domaine se résumait à peu de chose. « Ma mère nous avait montré comment se servir d’un marteau et d’une égoïne quand on était petits », raconte Hélène. « Elle nous laissait jouer avec ça. Lorsque je demeurais à Dawson, quand des amis se construisaient des cabanes, des hangars, des garages, j’allais les aider. J’aimais beaucoup cela. »

« Ce qui m’a incitée à aller en construction, dit Hélène en souriant, c’est qu’à la fin de la journée, tu vois ce que tu as fait. Quand je travaillais comme femme de chambre, j’arrivais, c’était tout à l’envers, je faisais un bon ménage, ça paraissait bien. Le lendemain, je revenais, et c’était tout à l’envers. »

Les hauts et les bas

Après son cours, Hélène a travaillé au fil des ans avec de petits entrepreneurs qui construisaient des maisons, et quelques fois à titre de travailleuse autonome. Après quatorze ans de dur labeur et la mi-quarantaine aidant, ses jointures lui montrent des signes de fatigue et son travail lui semble un peu plus difficile. Pensant un peu à l’avenir, Hélène explique : « J’ai suivi un cours d’éducatrice les soirs et les fins de semaine. En menuiserie, il y a des hauts et des bas. Ça fait que quelques hivers, je n’avais pas beaucoup d’ouvrage. J’essayais de faire mon année pendant l’été. L’hiver, quand il n’y avait pas d’ouvrage en construction, je travaillais comme suppléante au primaire. Ça m’a aidée, parce que j’ai appris des techniques d’enseignement. J’ai travaillé avec des enseignants superbes. »

Être femme dans un monde d’hommes

Être une femme dans le monde de la construction n’a jamais posé problème à Hélène. « Quand j’étais incapable de faire quelque chose (comme transporter une feuille de 4’ X 8’ toute seule), je demandais de l’aide. Les collègues sont heureux d’aider. »

« Du fait qu’on est au Yukon, ça facilite l’accès à n’importe quoi pour les femmes, » pense Hélène Tardif-Poole. « Au début des années 1990, j’ai assisté à une conférence à Vancouver pour les femmes qui travaillaient dans des métiers non traditionnels. Certaines femmes avaient de la misère au travail. Les hommes faisaient exprès pour défaire leur ouvrage. Je n’en revenais pas. Je n’ai jamais eu de problèmes comme ça. Plus qu’ailleurs, je pense que les femmes dans les métiers non traditionnels sont mieux acceptées ici. »

Et pourquoi pas l’enseignement?

En 2006, Hélène était travailleuse autonome. Au Collège du Yukon, on cherchait quelqu’un pour enseigner une première année en charpenterie-menuiserie (1er niveau). La femme qui avait été engagée a dû se désister et il restait seulement un mois avant le début de la session. Hélène avait déjà donné des cours les fins de semaine pour Women in Trades and Technology (WIT).

« Quelqu’un m’a recommandée à la direction du Collège et on m’a appelée. En premier, j’ai dit non. Je n’en sais pas assez pour enseigner », se souvient Hélène. « Le superviseur m’a dit : “T’es juste obligée d’en savoir plus que quelqu’un en première année. Prends les livres, apporte-les, lis-les. Tu vas voir que ce n’est pas si pire que ça.” » De l’autre côté, son mari lui a dit : « Qu’est-ce que tu vas perdre? Eux ont besoin de quelqu’un. Dis-leur que tu vas essayer le premier niveau. Tu vas voir si tu aimes cela ou non. » Elle a donc accepté et a été fort surprise de constater qu’elle aimait cela.

« Au premier cours, j’étais vraiment nerveuse. Il n’y avait pas de femmes dans ma classe. J’étais en avant et je n’ai regardé personne quand j’ai dit : “Ça va être moi votre professeure”, Je n’ai pas entendu de soupirs. Ça m’a encouragée », raconte Mme Tardif-Poole. « Je n’ai jamais eu de réactions négatives du fait que j’étais une femme. Mais je pense que mon âge fait que les étudiants sont plus respectueux envers moi que si j’étais jeune. »

Contenu du cours

Le cours que donne Hélène touche le premier niveau et un peu du deuxième niveau de l’apprentissage. Il y en a quatre en tout pour compléter le cours. Le premier niveau se concentre sur les permis, la nomenclature des matériaux de construction, la lecture des plans, des mathématiques et ça va jusqu’au premier plancher d’une construction de maison. Le deuxième niveau comprend les murs, les escaliers et la toiture. Le troisième, quant à lui, s’attaque au béton et le quatrième englobe la finition et le raffinement de tous les apprentissages.

Chaque année, un projet particulier est élaboré. L’an dernier, les étudiants ont construit deux remises. Celle année, Hélène est très fière de son idée. C’est une bâtisse de 20 pi X 60 pi. qui servira de bâtiment d’entraînement pour les autres corps de métier : les électriciens, les plombiers, ceux qui s’occupent des fournaises.

« Ce que j’aime le plus dans mon travail, constate Hélène, est de savoir que j’aide les gens à faire un métier qui les intéresse et de voir la progression des étudiants aussi. C’est un défi de trouver différentes façons d’enseigner pour que ça soit intéressant. »

Il semblerait que l’adage du cordonnier mal chaussé s’adresse aussi à la menuisière-charpentière, car Hélène vit en location…