Françoise La Roche
Lorsqu’on lit le titre Sur la route, on pense tout de suite au roman très connu de Jack Kérouac publié en 1957. Mais ce n’est pas de lui qu’il s’agit ici. On part plutôt sur la route avec Sandrine Lemonnier, chauffeuse de camion.
À 14 ans, Sandrine Lemonnier décide d’être routière. À 16 ans, elle s’inscrit à un certificat d’aptitude professionnelle de deux ans. « J’ai été reçue en juin, mais j’ai été obligée d’attendre d’avoir 18 ans pour passer mon permis. J’ai repris l’école à la rentrée pour faire un baccalauréat professionnel de transport. J’ai tout appris : le routier, le ferroviaire, le fluvial, l’aérien, le maritime. »
Qu’est-ce qui l’attirait dans ce métier? Elle n’en a aucune idée. « Petite, j’étais toujours avec mon père. Il avait une casse autos et une entreprise de dépannage. Je partais avec lui faire les dépannages et les week-ends, on démontait les pièces. On partait le mardi soir aller porter la ferraille et on revenait le mercredi. »
Depuis son premier jour de travail il y a 25 ans, Sandrine ne compte plus les kilomètres qu’elle a parcourus au volant d’un camion semi-remorque. De la route et des paysages différents, elle en a vu. « Tu vois les levers de soleil, les couchers de soleil, tu roules la nuit, tu roules le jour. Quand tu es dans un endroit plus peuplé, tu vois la ville se réveiller. Moi, j’adore cela. Mais il me faut de la musique. Je mets la musique à fond et je peux rouler pendant des heures. »
Une vie de nomade
Après son baccalauréat, elle a travaillé pendant trois ans pour une compagnie qui desservait la France, l’Allemagne, l’Italie et la Grèce. « Pour moi, il n’y avait pas assez d’international. Je voulais aller plus loin, toujours sortir plus loin. C’était des trajets trop courts. Je partais la semaine et j’étais en congé tous les week-ends. »
Elle change d’employeur pour faire la navette entre la France et la Scandinavie. « Je faisais cinq semaines sur la route et une semaine de repos. J’ai vécu douze ans dans mon camion », explique Sandrine. « Personne ne montait dedans, personne n’y touchait, c’était mon nid. J’avais mes photos dans mon camion, c’était ma vie, c’était chez moi. Toutes mes affaires étaient dans mon camion. »
Rouler le jour, la nuit, sous la pluie, sous la neige, sur la glace, rouler de longues heures faisait partie des conditions de travail. « Quand je parle de rouler la nuit, c’est la journée, la nuit, la journée le lendemain. Ce qui veut dire 36 heures sans dormir. Tu mets la musique à fond, t’es complètement cinglée, c’est super bon », explique Sandrine.
Les relations personnelles
Il est difficile de tisser des liens en dehors du travail quand on part cinq semaines. Par chance, il existe une communauté de camionneurs. Les chauffeurs de diverses compagnies effectuent souvent les mêmes trajets et se connaissent. « On partait ensemble, on se retrouvait à manger à tel endroit. Quand on arrêtait pour la nuit, lors des soirées au restaurant, on avait du fun. Pour moi, ce n’était pas une vie de solitude. On se retrouvait aussi sur les bateaux. On retrouvait les Français, les Allemands, les Hollandais. Une fois que chacun était rentré chez lui, on était tous éparpillés. On ne se voyait pas en dehors du travail. »
Une vie plus sédentaire
Depuis son arrivée au Yukon, Sandrine Lemonnier a roulé de Whitehorse à Fort Nelson pendant quatre ans. Elle en a vu des bisons, des ours, des élans, des wapitis, des caribous, des lynx. Lassée de ne pas savoir son horaire à l’avance, elle a décidé de changer de travail pour faire de la livraison en ville. Elle conduit toujours un camion, mais cinq jours par semaine.
Est-ce qu’elle s’ennuie de prendre la route? « Je ne m’ennuie pas, parce que ma vie est différente. Maintenant, je fais plein d’autres choses en dehors du travail. Je me suis éclatée dans mon boulot pendant des années, et aujourd’hui, ce n’est pas dans mon travail que je m’éclate. Le but, c’est de pointer à 17 h pour aller faire du sport, d’avoir fini la semaine pour partir en randonnée, en camping, en vélo, pour être dehors. »
Ce que Sandrine trouve le plus difficile avec son nouvel emploi, c’est d’avoir à travailler avec du monde autour d’elle. Elle n’est plus seule dans son camion toute la journée. Elle doit interagir avec les gens, composer avec la hiérarchie et demander si elle peut faire ceci ou cela. « J’ai toujours été indépendante et autonome. Dans mes autres emplois, je me gérais moi-même. Je gérais tout, mes horaires et mon itinéraire. »
Camionneuse un jour, camionneuse toujours
Quand Sandrine rentre chez elle après sa journée de travail, elle trouve que les 20 km qu’elle roule sur la route de l’Alaska sont bien peu. « Faut que je m’arrête là, il faut que je tourne, autrement je vais être partie. »
« Sincèrement, si je remontais dans un camion, je repartirais. Mais pas pour faire Whitehorse-Fort Nelson. Pour de plus longs trajets », conclut Sandrine Lemonnier.