Wilgis AGOSSA (La Liberté)
Déception, frustration, incompréhension, trahison, voilà autant de mots utilisés les francophones pour manifester leur mécontentement après l’annonce, le 12 septembre, de l’abolition du programme Avantage significatif francophone.
Dès ce 30 septembre, les employeurs des communautés en milieu minoritaire ne pourront plus utiliser ce programme de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour obtenir des travailleurs qualifiés.
« Je suis stupéfait et complètement découragé », lance un apiculteur de Notre-Dame-de-Lourdes (MB), Pierre Faure. Toute aussi abattue, la copropriétaire de boulangerie À l’Épi de blé, Nathalie Gautier montre sa colère. « C’est une injustice. Je ne peux pas comprendre pourquoi ils ont pris cette décision. »
Les employeurs ne sont pas les seuls désemparés. Les défenseurs des droits francophones le sont aussi. La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) parle d’ailleurs d’un « recul majeur pour l’immigration francophone » et déposera une plainte auprès du Commissariat aux langues officielles.
« Encore une fois, on retire à nos communautés le seul outil dont elles disposent pour aller chercher des résultats tangibles, dénonce la présidente Marie-France Kenny. Il nous semble que le ministère a une obligation, en vertu de la Loi sur les langues officielles et de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, de favoriser le développement de nos communautés. La décision va à l’encontre de cette obligation. »
« On ne peut pas juste nous enlever de même le seul outil que nous avons de plus que les autres pour accueillir des francophones, ajoute la coordonnatrice au programme d’immigration à l’Agence bilingue d’échanges commerciaux du Manitoba, Brigitte Léger. C’est injuste. »
Une semaine plus tôt, le ministre de CIC, Chris Alexander, avait annoncé son désir d’aider les communautés francophones à atteindre leurs objectifs en immigration. Sa rencontre à Winnipeg avec les membres du Réseau en immigration francophone avait donné des signes d’espoir à Brigitte Léger.
Aujourd’hui, elle se sent trahie. « Tout le monde était très content de cette rencontre, rappelle-t-elle. Et puis quelques jours plus tard, il y a cette annonce. »
Le ministre se défend. « Notre gouvernement a fait des changements importants au Programme des travailleurs étrangers temporaires afin de s’assurer que les Canadiens soient les premiers considérés pour les emplois disponibles », a souligné Chris Alexander. Des propos qui ne calment pas les esprits.
« Je gère mille ruche, informe Pierre Faure. Il faut du personnel qualifié pour faire ce travail. Je ne peux pas en trouver au Canada. Je ne peux pas demander à mon voisin de venir travailler avec moi.
« Depuis qu’il y avait ce programme, explique-t-il, c’était formidable. Ça va vite. Je recrute deux personnes chaque année pour six mois. Si je ne peux pas avoir de personnel qualifié en pleine période de recrutement, je mets la clef sous la porte. »
La décision du ministère aura un impact économique négatif, pense Nathalie Gautier, qui espère recruter un pâtissier avant le 30 septembre.
« Ma boutique, c’est un savoir faire français. Ce sont des choses qu’on ne sait pas faire ici. Si jamais je n’ai pas du personnel qualifié, c’est sûr qu’il y aura moins d’argent dans ma caisse et de taxes (pour le gouvernement). On a l’impression d’être dans les mains de dictateurs qui ne s’intéressent même pas à ce qui se passe et prennent des décisions sans consulter. »
Dans un communiqué, Chris Alexander ne démord pas. « Au cours des prochaines semaines, nous allons consulter toutes les communautés francophones du pays pour développer de nouveaux outils afin de promouvoir l’immigration francophone. »
La porte reste ouverte à la discussion, d’après Ibrahima Diallo, le président de la Table nationale de concertation communautaire en immigration francophone, une création de la FCFA. Il soutient que « cette consultation devait avoir eu lieu avant d’arrêter le programme. »
Le ministre a fait savoir qu’un programme de remplacement, Entrée Express, doit entrer en vigueur en janvier 2015. Mais d’ici l’arrivée de nouvelles mesures, les conséquences se feront sentir, conclut Brigitte Léger. « J’ai peur qu’on perde des gens et de l’argent ».