Jean-Pierre Dubé (Francopresse)
À la suite des politiques sur l’alcool et sur le tabagisme en 2012, l’Association canadienne de santé publique (ACSP) a présenté en mai sa position sur la gestion des drogues. La prochaine, sur la prostitution, sera lancée en novembre.
L’énoncé arrivera trop tard pour influencer le projet de loi C-36 que le gouvernement conservateur a déposé en juin, reconnaît le directeur général de l’ACSP, Ian Culbert. « On n’était pas prêts. Mais à moins de changements majeurs, on a l’impression que la nouvelle loi se retrouvera devant la Cour suprême. » L’organisme entend alors se prononcer.
Un consensus des milieux politique et juridique se dégage quant à l’avenir de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation. Elle nierait davantage les droits des travailleurs du sexe que celle invalidée par la Cour en décembre 2013. Le ministre de la Justice, Peter MacKay, a confirmé devant le comité sénatorial chargé d’étudier le projet C-36, le 9 septembre, que « la prostitution est illégale pour la première fois au Canada ».
Selon Ian Culbert, l’énoncé sur la prostitution est plus simple à élaborer que les précédents. « Il y a beaucoup de recherche qui pointe dans la même direction. Le premier jet sera présenté au Groupe d’examen des politiques à la fin septembre. Notre espoir est que le document sera prêt pour l’approbation du Conseil d’administration en novembre.
« Comme pour les substances psychoactives illicites, précise le directeur général, il est important que la perspective de la santé publique soit appliquée au travail du sexe. » L’approche est basée sur les principes de la justice sociale, les droits de la personne, les données probantes et sur les déterminants de la santé.
L’orientation de la Nouvelle démarche de gestion des substances psychotropes illégales au Canada, publiée en mai, est explicitée dans l’introduction par une citation du directeur de la National Drug Control Policy de la Maison-Blanche, Gil Kerlikowski.
« La réforme de la politique liée aux drogues doit s’appuyer sur les neurosciences et non sur les sciences politiques. Il doit s’agir d’une question de santé publique et pas simplement de justice pénale. »
La criminologue Line Beauchesne, de l’Université d’Ottawa, a participé à l’exercice. « Lors de la prohibition aux États-Unis, on trafiquait de l’alcool à 90 %. On la buvait rapidement et en cachette. Il y avait des mélanges douteux qui envoyaient des gens à l’hôpital. Au retour du marché régulier, on a redécouvert toute une série de produits qui avaient disparus.
« C’est la même chose avec les drogues illégales, estime-t-elle. Les produits, les concentrations et les façons de consommer sont propres au marché noir. Il ne faut absolument pas imaginer un marché légal à partir des produits et des modes de consommation qui se sont développés. »
« L’usage problématique de drogues illicites, poursuit Ian Culbert, est le fait de personnes n’ayant pas les outils nécessaires pour faire face aux émotions provenant souvent de traumatismes de l’enfance – violence physique, psychologique ou sexuelle. »
L’explication de Line Beauchesne : « On ne parle plus de drogue douce ou dure, mais de consommation douce ou dure. On parle d’usage approprié. Tout dépend de la relation avec le produit et l’environnement dans lequel on consomme. »
L’ACSP n’a pas encore obtenu de réaction du gouvernement fédéral, mais Ian Culbert est satisfait de l’impact. « Le document a été très bien accueilli par nos (1 100) membres, car il répond à une question sérieuse des communautés confrontées aux conséquences de la guerre anti-drogue. »
Le vent a commencé à tourner. Le gouvernement fédéral pourrait légiférer d’ici la fin de 2014 pour permettre aux policiers d’émettre des contraventions pour la simple possession de marijuana. Selon l’ACSP, ce serait insuffisant, mais un pas dans la bonne direction.
Un changement de politique s’impose, affirme le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, financé par Santé Canada. Le 9 septembre, il a demandé au fédéral de financier une étude indépendante sur l’impact socioéconomique d’une réforme visant la légalisation.
Le même jour, la Commission globale de politiques en matière de drogues a publié le rapport Prendre le contrôle : sur la voie de politiques efficaces en matière de drogues. Le groupe dont est membre l’ex-juge de la Cour suprême du Canada, Louise Arbour, demande aux chefs d’État d’envisager « sans délais d’autres options que la guerre – déjà perdue – contre les drogues ».
La Commission annonce qu’une session extraordinaire des Nations-Unis sur les drogues aura lieu en 2016. Elle rappelle les priorités de l’ONU : la sécurité, les droits de l’homme et le développement, précisant que « la santé est l’élément commun des trois priorités ».