Jean-Pierre Dubé (Francopresse)
Stephen Harper réunira son Cabinet dans la Vieille capitale, début septembre, pour séduire l’électorat en célébrant le 150e de la Conférence de Québec et un père de la Confédération. Reconnaîtra-t-il l’influence de Cartier dans l’Ouest?
Présenter son parti comme le véritable héritier des fondateurs et en particulier de George-Étienne Cartier n’est pas sans risque. « On rappellera la tradition pour gagner des votes, souligne Serge Dupuis, le directeur exécutif de l’Institut franco-ontarien. Mais il y a des nuances qui ne sont pas parfaitement saisies.
« Quand on évoque ce fondateur, c’est souvent Macdonald-Cartier, un pont ou une école, souligne l’historien de l’Université Laurentienne (Sudbury). Cartier était un conservateur, mais il avait étudié chez les Sulpiciens, c’était un nationaliste canadien-français qui avait prêté mainforte aux Patriotes de 1837. »
En octobre 1864, Cartier était parmi les 35 membres de la Conférence de Québec qui ont produit les 72 résolutions sur la création des Communes, du Sénat et de la Cour suprême, ainsi que sur le partage des pouvoirs entre le fédéral et les provinces.
« Pour lui, la Confédération était la voie la plus plausible pour l’autonomie du Bas-Canada, poursuit Serge Dupuis. C’était un pacte entre les deux peuples fondateurs. Ce n’est pas la conception du Canada comme un melting pot ou l’État-Nation de Stephen Harper où les Canadiens français se trouvent quelque part. »
Le politicologue Frédéric Boily, du Campus Saint-Jean (Edmonton), croit que « le contexte est relativement favorable aux conservateurs ». Avec la défaite du Parti québécois (PQ) et la place qu’occupe maintenant la droite dans l’opposition, « le parti pourrait reprendre des votes dans la région de Québec et au Lac-St-Jean. »
Le crédit que s’accordent les conservateurs pour la défaite du PQ au scrutin d’avril n’est pas exagéré, selon Frédéric Boily. « Ils n’ont pas causé de torts durant la campagne, même s’ils procèdent unilatéralement dans plusieurs dossiers. Le fédéral ne rencontre pas souvent les provinces, ce qui fait en sorte qu’on n’attise pas les conflits.
« L’idée, estime-t-il, c’est que les provinces restent dans leur champ de compétence et le fédéral aussi. Mais je n’ai pas l’impression que les relations se sont réchauffées. »
« Les gens ne se rappellent pas qui est Cartier, souligne le professeur, mais réunir le Cabinet à Québec, c’est assez astucieux politiquement. À savoir si ça va porter fruit, c’est une autre affaire. » Les conservateurs comptent cinq sièges au Québec et espèrent en emporter le double en 2015.
Sir Cartier était le politicien francophone le plus influent du parlement du Canada-Uni en 1864. Ensuite, comme ministre fédéral, il lance le chemin de fer transcontinental, fonde l’armée et tient le rôle de vice-premier ministre auprès de John A. Macdonald.
Cartier a aussi négocié à Londres la Proclamation royale de 1869, engageant la Couronne à faire respecter les droits et privilèges civils et religieux des Métis de la terre de Rupert et des Territoires du Nord-Ouest. Défait dans son comté de Montréal en 1872, il fut élu dans Provencher, au Manitoba, lorsque le candidat Louis Riel lui céda sa place.
Dans son ouvrage Réflexions d’un frère siamois (Boréal, 1998), l’historien et philosophe John Saul affirme qu’une des plus grandes erreurs de Macdonald a été « sa façon de traiter la crise métisse ». Cartier est mort à ce moment-là et Macdonald n’avait aucun ministre francophone de premier plan.
« L’Ouest avait été le grand intérêt de Cartier, écrit-il. C’est lui qui avait compris la géopolitique de la région. Macdonald n’y entendait rien. (…) Il n’y a vu qu’un problème d’ordre public et n’a pas, pour ainsi dire, compris le reste. »
Serge Dupuis explique : « Cartier avait assuré le respect des droits religieux et linguistiques du Québec pendant les négociations entre 1864 et 1867. Il l’avait fait pour les Métis au Manitoba. Après son décès, la xénophobie s’est emparée du Canada anglais. »
« Le gouvernement Macdonald est devenu plus impérialiste, dit-il, voyant le Canada moins comme un pacte entre deux peuples et plus comme un état britannique avec des visées expansionnistes et assimilatrices. » La Milice canadienne sous les ordres de Macdonald a écrasé deux résistances métisses, en 1870 et 1885.
« La vision de Cartier était plus sensible à la culture locale des Plaines, conclut l’historien. S’il avait vécu plus longtemps, il aurait peut-être permis l’installation d’une dualité plus durable dans l’Ouest. »
La Cour suprême du Canada est encore appelée en 2014 à remédier des torts remontant à cette époque. Et à défendre les fondements du pacte établi à la Conférence de Québec.