Jean-Pierre Dubé (Francopresse)
Après deux ans de discussions à huis clos, l’incertitude règne chez certains organismes francophones. Comment la logique d’investissement de Patrimoine canadien sera-t-elle appliquée?
« On est toujours en pourparlers avec Patrimoine canadien (PC), signale la présidente de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), Jeanne d’Arc Gaudet. On a demandé au ministère de nous accompagner, on pose beaucoup de questions. Depuis plusieurs semaines, il y a davantage d’ouverture au bureau de la région de l’Atlantique.
« On nous assure que le niveau de financement ne changera pas, dit-elle, mais nous sommes sous-financés depuis plusieurs années. Le gouvernement voudrait faire de la place à de nouveaux besoins, mais on ne les connaît pas. »
La SANB est la seule des 21 membres de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) à s’exprimer publiquement sur la réforme lancée par PC en 2012. La ministre Shelly Glover n’a pas accordé d’entrevues sur le sujet.
Explications de Pierre Manoni, du Service des relations avec les médias, de PC : « Nous respectons le caractère privé des échanges entre Patrimoine canadien et la FCFA. Un dialogue continu avec les porte-paroles provinciaux et territoriaux permettra d’identifier les priorités en matière de financement, de coordination et de responsabilisation interministérielle.
« Le Ministère tirera profit de ces mécanismes de collaboration pour mettre en œuvre les moyens proposés, conclut-il. Il demeure trop tôt pour discuter des détails. »
Le directeur général de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML), Éric Forgues, a soutenu en avril que le gouvernement devrait communiquer ses intentions publiquement.
« La FCFA et ses membres ont aussi le devoir d’emmener cette discussion dans l’espace public. Les enjeux ne concernent pas seulement la survie d’organismes mais la vitalité des communautés. En ce moment, elles ne savent rien des négociations. »
Le ministère propose de nouveaux critères d’évaluation, de nouvelles orientations et priorités. Celles portant sur de nouveaux besoins et la responsabilisation d’autres ministères préoccupent la SANB, selon la présidente.
« Il y a 33 organismes membres au Nouveau-Brunswick et ils ne sont pas tous financés, explique Jeanne d’Arc Gaudet. Ils entendent des rumeurs, ils ont peur. Les premiers ciblés sont les femmes, les parents et les aînés. Toute cette crainte a été alimentée par le retard de plusieurs semaines du financement de cette année. On s’attendait à des coupures. »
La présidente n’est pas en mesure d’affirmer que tous les organismes ont obtenu le renouvèlement de leur financement. Au national, l’appui aux organismes oeuvrant auprès des femmes, des juristes et des apprenants adultes aurait toutefois été coupé.
Le porte-parole du ministère se veut rassurant. « Patrimoine canadien continuera de financer des organismes dans un large éventail de secteurs qui contribuent à la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire. On ne prévoit pas se retirer de certains secteurs.
« La majorité du financement, écrit-il, continuera d’être versé à des organismes généralistes et à des organismes oeuvrant dans les secteurs de la jeunesse, des arts/culture et des médias/communications, comme c’est le cas depuis plusieurs années. »
PC avait annoncé la publication d’un cadre pour les nouvelles priorités. Mais « suite aux consultations avec les organismes, il ne sera pas nécessaire de modifier les lignes directrices, précise Pierre Manoni. Par contre, certaines organisations pourraient être invitées à étoffer d’avantage en quoi elles répondent aux lignes directrices actuelles. »
Jeanne d’Arc Gaudet hésite à parler de recul. « Le ministère se donne maintenant trois ans pour compléter les changements. On n’est pas loin d’élections fédérales et les conservateurs ne veulent pas se mettre la francophonie à dos. Si les choses n’avancent pas selon nos objectifs, on va continuer à s’exprimer publiquement. »
La présidente reconnaît l’impact du milieu académique sur l’évolution du dossier. « Les chercheurs font leur travail, ils écrivent et se prononcent sur ces questions. Ils rappellent aux gouvernements leurs obligations. »
L’ICRML a publié en mai l’étude Financer la francophonie canadienne : faire société ou créer un marché de services? L’ouvrage du politicologue Éric Forgues et du juriste Michel Doucet, de Moncton, rappellent les droits constitutionnels fondant le rapport de forces entre le fédéral et les communautés de langue officielle. Ils questionnent la préférence du gouvernement et des organismes « de se tenir loin de l’espace public ».