Jean-Pierre Dubé (Francopresse)
La sénatrice ne démord pas. Son 3e essai pour moderniser le cadre législatif des langues officielles a été renvoyé le 15 mai au Comité sénatorial des finances nationales. Le projet de loi S-205 peut-il échapper au rejet?
« Au risque de paraître naïve, affirme Maria Chaput, je crois que c’est possible de convaincre certains de mes collègues. Si les conservateurs amènent le projet de loi au Comité des finances, on peut avoir un débat et ça peut donner quelque chose. Il y a des sénateurs ouverts qui posent de bonnes questions. »
Ses deux premiers projets de modifier la Partie IV de la Loi sur les langues officielles (LLO), en 2010 et 2012, sont morts au Feuilleton. La sénatrice manitobaine voudrait que l’administration saisisse l’occasion, qui se présente à chaque décennie, d’adapter le niveau de services offerts dans les deux langues officielles à partir de données pertinentes.
La clé serait une compréhension élargie de la francophonie. « On vit avec la définition qui existait quand j’étais enfant. » Maria Chaput soutient que l’exogamie, l’immigration et l’immersion ont profondément changé la francophonie. « Les enfants des couples exogames, on les appelle des ayants droit. Mais quels droits ont-ils s’ils ne sont pas reconnus dans les données de Statistique Canada ? »
La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) exerce aussi des pressions pour que le gouvernement fédéral revoie la façon dont il détermine qui et où sont les francophones, selon la directrice générale, Suzanne Bossé.
« Nous avons fait plusieurs interventions auprès des décideurs gouvernementaux, notamment le Secrétariat du Conseil du Trésor, et nous allons continuer à le faire. Pour nous, le Règlement sur les langues officielles et la définition de la francophonie sont désuets et doivent absolument être élargis pour tenir compte de l’évolution de la francophonie. »
Les critères pour fixer les points de service doivent aussi tenir compte de l’emplacement des infrastructures, affirme Suzanne Bossé. « Lorsqu’il existe une école ou un centre communautaire, c’est nécessairement parce qu’il existe une concentration de francophones à proximité. »
Maria Chaput milite pour une redéfinition comme celle du gouvernement de l’Ontario. La Définition inclusive des francophones (DIF) adoptée en 2009 a majoré la proportion de francophones de 4,4 à 4,8 %.
Selon l’Office des affaires francophones, « La DIF estime le nombre de personnes qui ont le français comme langue maternelle auxquelles on ajoute les personnes qui n’ont ni le français ni l’anglais comme langue maternelle, mais qui parlent français. (…) La variable est calculée à partir de trois questions du recensement concernant la langue maternelle, la langue parlée à la maison et la connaissance des langues officielles. »
L’enjeu est important pour toutes les communautés francophones, d’après Maria Chaput. « Il est question des services de première ligne au public et du droit des Canadiens d’utiliser la langue officielle de leur choix dans leurs interactions avec leur gouvernement. Ça doit se faire dans un réalignement des postes de la fonction publique. »
En 2010, Maria Chaput souscrivait l’aide de l’ex-juge Michel Bastarache pour élaborer son projet de loi. Les rédacteurs ont proposé des mécanismes pour renforcer la participation des communautés à la détermination des besoins. Ils ont aussi élaboré une clause réparatrice.
« Il n’y a pas de volonté politique chez les conservateurs pour changer la loi, reconnaît Maria Chaput, ils ne veulent même pas considérer un débat. Ils n’aiment pas les projets de loi privés, surtout des sénateurs. Je pourrais demander à un député des Communes de le présenter. J’ai toute une liste d’options. »
La sénatrice libérale pense aux prochaines élections, qui permettraient de changer le gouvernement. Mais elle n’exclut pas non plus une stratégie juridique. « C’est une option qui est ouverte. »