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le Vendredi 28 mars 2014 14:31 Société

Air Canada en Cour suprême

L'avocat des Thibodeau, Me Ronald Caza.
L'avocat des Thibodeau, Me Ronald Caza.

Jean-Pierre Dubé, APF

La cause que mène depuis 15 ans un couple franco-ontarien contre le contrevenant le plus systémique à la Loi sur les langues officielles (LLO) pourrait enfin aboutir. L’audience du 26 mars a permis de proposer des peines efficaces contre Air Canada.

L’an 2000. Sur un vol partant de Montréal, la seule agente de bord s’avère incapable de servir Michel Thibodeau en français. Il se permet d’insister. Au débarquement à Ottawa, des policiers l’attendent.

Près de 15 ans plus tard, après avoir gagné en Cour fédérale (2011) et perdu en Cour d’appel fédérale (2012), la cause est entre les mains de la Cour suprême du Canada. Le jugement attendu dans plusieurs mois mettra fin à la saga.

« Les victimes ici ne sont pas seulement Michel et Lynda Thibodeau, soutient leur avocat, Ronald Caza. C’est l’ensemble de la clientèle d’Air Canada. Ce qui est important de souligner, c’est le courage de monsieur et madame Thibodeau. Ça aurait été facile de lever les bras après le jugement en appel. »

Voici l’explication donnée à la SRC par Michel Thibodeau sur sa persistance. « Si Air Canada viole mes droits et que je rentre chez moi en me disant « bon, ils ont violé mes droits, il n’y a rien à faire », puis que le mois d’après, je reprends l’avion et ils violent encore mes droits, bien à ce moment, ce droit n’existe pas. »

Au moment de la privatisation d’Air Canada en 1989, la société s’était formellement engagée à respecter la LLO. Mais entre 2006 et 2013, les pratiques du transporteur ont généré 858 plaintes au Commissariat aux langues officielles (CLO) et des mentions continuelles dans les rapports annuels du commissaire Graham Fraser. En 2012, le chiffre d’affaires d’Air Canada s’élevait à 12 milliards.

Voici la question fondamentale du litige : à quels types de conséquences le transporteur devrait-il faire face pour ses manquements?

Le bilinguisme dans les aéroports

En 2012, le CLO a effectué 1 982 observations dans huit aéroports internationaux du Canada…

« Air Canada a considérablement amélioré son rendement depuis 2008. En 2012, le transporteur national a effectué l’offre active visuelle à 100 p. 100 dans cinq aéroports, et a obtenu des notes presque parfaites dans les trois autres.

« Air Canada doit toutefois améliorer son rendement en ce qui a trait à l’offre active en personne alors que, même à Montréal, il l’a fait dans seulement 55 p. 100 des cas. Dans cinq autres aéroports, il l’a fait dans moins de 25 p. 100 des cas. En comparant les notes obtenues par Air Canada dans les airs et au sol, on constate que les services en vol (44 p. 100) du transporteur génèrent de bien meilleurs résultats que ses services au sol (17 p. 100).

« Air Canada fait appel à un personnel bilingue disponible 24 heures sur 24. Pourtant, si l’offre active en personne n’est pas faite de façon systématique, comment le public saura-t-il que les services sont en tout temps disponibles en français et en anglais? Et comment les voyageurs sauront-ils qu’ils peuvent communiquer dans la langue officielle de leur choix?

Source : Rapport annuel du CLO 2012-2013.

La Cour fédérale avait accepté le principe des dommages et intérêts, compte tenu des infractions systémiques, et accordé 12 000 $ aux requérants. Mais l’appel avait renversé la décision en niant le caractère généralisé des délits et limitant les conséquences pour Air Canada à une lettre d’excuse.

Le 26 mars, les Thibodeau et le CLO ont demandé au plus haut tribunal de reconnaître l’aspect systémique des manquements de la société. Ils cherchent conséquemment l’imposition de dommages et intérêts aux clients lésés. Et enfin, ils veulent une reconnaissance quasi-constitutionnelle de la LLO qui lui donnerait préséance en cas de conflit avec d’autres lois. Il est question d’une convention internationale de 2008 empêchant les demandes de compensation contre les transporteurs des pays signataires.

Une quatrième demande a été remise sur la table : une réparation systémique. Selon Me Caza, la société doit se responsabiliser quant à ses obligations, comme l’avait requis la Cour fédérale en 2011. « On a demandé que la Cour oblige Air Canada à mettre en place des mécanismes pour surveiller et corriger elle-même ses manquements. »

Le récent rapport annuel du CLO rappelle l’enjeu en ces termes : « La Cour a également conclu que ni Air Canada ni Jazz n’avaient entièrement acquis le réflexe de mettre en place de façon proactive les outils et les procédures nécessaires pour satisfaire à leurs obligations en matière de langues officielles, pour évaluer leur rendement à cet égard et pour établir des objectifs en vue d’une amélioration. »

Selon Me Caza, « Il est évident que la Cour suprême était intéressée par la question. C’est un très bon signe. Cette cause est très importante pour les minorités linguistiques. Le message que nous a donné Air Canada encore une autre fois, c’est que ça ne vaut pas la peine de se battre pour notre langue et notre culture. On a hâte de voir le jugement. »