Jean-Pierre Dubé, APF
L’entrée en scène du candidat péquiste Pierre Karl Péladeau remet le projet souverainiste sur les rails. Le discours est déjà post-référendaire et s’étend dans une indifférence face au Canada et aux communautés francophones. Mais il y a loin de coupe aux lèvres.
En début de campagne électorale, la cheffe du Parti québécois (PQ) semblait éviter de parler de souveraineté, même si les sondages permettaient d’envisager la formation d’un gouvernement majoritaire le 7 avril. Puis Pauline Marois présentait le 9 mars son candidat dans le comté de Saint-Jérôme, semant la panique chez les fédéralistes.
Le géant médiatique Pierre Karl Péladeau a lâché une bombe en annonçant sa décision de quitter le secteur privé pour se lancer en politique et « faire du Québec un pays ». On ne parle plus d’élections, déclare la sociologue de l’Université d’Ottawa, Linda Cardinal, ni de référendum. « C’est comme si c’était fait. On parle de l’après-souveraineté.
La sociologue Linda Cardinal
« Le Canada est en panique, soutient la professeure. L’arrivée de PKP, personne ne la soupçonnait. Les anglophones ne comprennent pas comment il peut être à la fois souverainiste et partisan de politiques conservatrices, chef d’entreprises au Canada anglais. »
« Ce qui m’inquiète le plus, explique Linda Cardinal, c’est « la rupture psychologique. Lors du référendum de 1995, certains fédéralistes avaient menacé de représailles les francophones hors Québec en déclarant : ‘si le Québec part, vous allez tout perdre’. Ce qui ne les a pas empêchés de faire la leçon au Québec en leur disant : vous avez des anglophones et des autochtones, on vous surveille de près.
« En 1995, ajoute-t-elle, le premier ministre Lucien Bouchard avait dénoncé la méchanceté du Canada. Mais présentement au Québec, personne ne critique le Canada pour son traitement des francophones. Plus besoin de défendre des valeurs ni de critiquer les autres. Dans le discours souverainiste actuel, c’est normal que le Québec veule son pays. Avec PKP, on est dans le nationalisme économique, on est gagnants. »
Au cours des derniers mois, souligne la sociologue, les anglophones ont sévèrement critiqué le projet de Charte des valeurs québécoises. « C’est fascinant de lire comment les médias anglophones ont traité les Québécois de fascistes et de racistes. Il y a eu un abus de langage extraordinaire. Mais il n’y a personne au Canada pour dire que, quoi qu’il arrive au Québec, on va respecter nos communautés francophones. Personne!
« Les francophones hors Québec auront toujours un message fédéraliste, insiste Linda Cardinal. C’est très difficile pour eux d’imaginer quelle serait leur place au Canada sans le Québec. J’aimerais aussi entendre un message du côté canadien pour les rassurer. »
Le gestionnaire Hubert Gauthier
Le Canada est-il vulnérable à la critique? Oui, croit le militant Hubert Gauthier, consultant en matière de santé en français. « Le Parti conservateur ne passe pas au Québec, et le bilinguisme n’est pas dans l’agenda de Stephen Harper, qui fait le minimum pour ne pas causer de remous. Le fédéral n’a pas majoré son plan pour les francophones depuis fort longtemps. Dans les rangs des conservateurs, on ne sait pas quoi faire. »
Pour le Manitobain d’origine, la situation présente des opportunités. « Ce n’est pas un cataclysme, il ne faut pas que les francophones hors Québec tombent avec le Canada anglais dans le Québec bashing. Un Québec fort, ça a toujours donné une francophonie forte. Il faut utiliser le retour du débat souverainiste comme un levier, comme on l’a fait au moment des référendums (1980 et 1995).
« Nous, les communautés francophones, rappelle Hubert Gauthier, on a toujours dit qu’il fallait respecter le désir des Québécois de s’autodéterminer. Par ailleurs, on disait aussi au fédéral quel rôle il pouvait jouer pour qu’on ne devienne pas un argument en faveur de la séparation. On a encore une belle occasion de se positionner. »
Selon lui, les communautés francophones ont besoin du Québec autant que du Canada. « Il y a toujours eu des efforts au Québec pour maintenir des liens avec les communautés hors Québec, souligne le résident de Montréal, que ce soit sous les péquistes ou les libéraux. Encore aujourd’hui, il existe des ententes pour le prêt de personnel dans certains organismes.
« N’oublions pas que, si le Canada anglais réussit à écraser le Québec, conclut-il, il peut écraser les minorités encore plus facilement. Restons calme, il n’y a encore rien de fait. »
Le politicologue Frédéric Boily
Le politicologue Frédéric Boily est d’accord. « On est encore dans un scénario très lointain. On ne sait pas encore si le PQ sera majoritaire ou s’il y aura un référendum. Mais la relance d’un débat référendaire se fait dans un contexte différent de 1995 : le Canada n’est pas dans les mêmes dispositions.
« Le message qu’on entend, signale le professeur au Campus Saint-Jean, à Edmonton, c’est qu’on ne se battra pas autant pour garder le Québec. Des voix s’élèvent, en Alberta aussi, pour dire que les Québécois ne doivent pas s’attendre à ce que les conditions de séparation soient faciles. Les négociations seraient plus fermes, plus dures. Avec un 3e référendum, je ne vois pas de bénéfices pour les communautés francophones.
« Le PQ est dans une logique qui exclut les minorités, soutient le politicologue. Il n’y a pas de liens très forts en ce moment avec les communautés francophones. Et au fédéral, avec les conservateurs, le bilinguisme est accepté plutôt avec réticence. On les voit mal utiliser la Constitution pour défendre le Canada au Québec.
« Le seul avantage pour les minorités pourrait venir du Parti libéral, lance Frédéric Boily, si le chef Justin Trudeau entre dans le débat
national. Les libéraux auraient cette carte-là à jouer, ils ont historiquement voulu réconcilier les groupes nationaux. Dans ce contexte, les francophones ont leur place. C’est une occasion pour Trudeau de se positionner et devenir le capitaine Canada, il n’y en a pas d’autre de crédible en ce moment. »