Pierre Chauvin
Alors que le 8 mars prochain se tiendra la Journée internationale de la Femme, plusieurs nouveaux rapports sur l’exploitation sexuelle et la traite des femmes au Canada démontrent des tendances inquiétantes.
Diane Redsky qui travaille pour la Fondation canadienne des femmes présentait un rapport sur le sujet lors du Symposium sur les questions féminines qui se tenait à Whitehorse la semaine dernière. Elle pilote le groupe de travail sur l’exploitation des femmes et des jeunes filles au Canada. Ses constats, après avoir fait des entrevues avec 250 organisations et 150 survivantes, sont troublants.
Contrairement aux idées reçues, de nombreuses victimes d’exploitation sexuelle et de traite sont nées au Canada, et elles y sont recrutées très jeunes. « D’après ce que nous avons entendu d’un bout à l’autre du pays, les jeunes filles sont recrutées et piégées où qu’elles soient », explique Diane Redski en entrevue à l’Aurore boréale.
« Les trafiquants vont dans des communautés vulnérables et recrutent des jeunes filles sur leur chemin vers l’école », explique-t-elle.
Les jeunes filles recrutées sont de plus en plus jeunes, avec une moyenne d’âge de 13 ans qui parfois va jusqu’à l’âge de 10 ans. Les victimes sont parfois plus proches de nous que l’on ne le pense.
Au Manitoba, la directrice d’une école a récemment réussi à faire démanteler un vaste réseau de traite après s’être rendu compte que plusieurs élèves arrivaient constamment en retard, suivant un même motif. Des dizaines de jeunes filles étaient obligées à l’heure du dîner d’aller se prostituer dans un bordel près de leur école.
La lutte contre ce type de trafic est récente, avec l’ajout en 2005 de trois provisions au Code criminel. Celles-ci s’attaquent au trafic lui-même, aux gains financiers qui en résultent et à l’utilisation des documents d’identité pour maintenir le contrôle sur les victimes.
Un autre rapport préparé pour le ministère de la Justice canadienne qui se concentre sur l’exploitation des populations Inuit au Nunavut et à Ottawa vient appuyer les constations faites par Diane Redsky. Le rapport se base sur des témoignages de victimes d’exploitation, citant même un cas où des parents auraient essayé de vendre leur enfant sur Facebook.
« Si les conditions socio-économiques au Nunavut sont devenues si pauvres que (les parents) n’ont pas d’autres choix que de vendre un être humain, alors nous sommes entrés dans un territoire inimaginable en terme de violation des droits de l’homme et de la protection des enfants, qui doit être enquêté », note le rapport.
Réseaux
Le rapport de Diane Redsky souligne aussi le perfectionnement des réseaux de trafic de femmes. Du recrutement au maintien en captivité – certaines femmes étant déplacées tous les dix jours pour maintenir le « chaos » dans leur vie – ces réseaux sont bien organisés. L’exploitation d’une femme leur rapporte environ 280 000 dollars par année, et un même réseau a en moyenne quatre à cinq femmes.
Elles sont forcées d’avoir des relations sexuelles avec de nombreux clients jusqu’à épuisement. Dans certains cas, les proxénètes les abandonnent même dans des centres de soins puis les forcent à revenir une fois en meilleure santé.
Cercle vicieux
Même lorsque les jeunes filles et les femmes sont libérées des réseaux de trafiquants, tout n’est pas simple pour autant. Elles se heurtent à de nombreux obstacles lorsqu’elles veulent reconstruire leur vie.
Les trafiquants ont recours à de nombreuses tactiques pour exercer un contrôle total sur leurs victimes, dit Diane Redsky : forcées de commettre des crimes, de contracter des prêts ou d’utiliser des cartes de crédit ou encore de prendre de la drogue, ces victimes sont parfois obligées de retourner dans l’industrie du sexe pour survivre, faute de pouvoir trouver un emploi.
Pour combattre ces problèmes, l’État de l’Illinois a voté une loi qui permet d’expurger le casier criminel de victimes pour des crimes en lien avec leur exploitation. Le Canada ne possède pas de telles lois.
« C’est une vraie barrière, car la plupart des employeurs demandent si l’on a un casier judiciaire », dit Diane Redsky. « Elles sont forcées de divulguer le fait qu’elles ont eu des condamnations, par exemple reliées à la prostitution », dit-elle.
Diane Resky a aussi fait une entrevue avec un ancien proxénète, afin de comprendre cet état d’esprit, dit-elle. « C’est (un état d’esprit) de dévalorisation de la femme, qu’elle ne doit être utilisée que dans un but sexuel, et qu’il y a beaucoup d’argent à se faire comme ça », explique-t-elle.
« L’éducation, c’est la clé », dit-elle. Elle insiste aussi sur le fait qu’il faut combattre la demande qui « alimente » ces réseaux.
La GRC a créé un kit pour expliquer en quoi consistent l’exploitation sexuelle et la traite des femmes.
Pour plus d’information, visitez le site du Centre national de coordination contre la traite des personnes de la GRC à rcmp-grc.gc.ca/ht-tp.