Joannie Vézina
Je suis née dans la ville de Mayronne en Saskatchewan, le 7 octobre 1924, sous le nom d’Irène Rita Bouvier. Je suis l’avant-dernière d’une famille de sept enfants. J’avais cinq sœurs et un frère. Mes parents étaient francophones. Mon père était originaire du Québec et ma mère du Manitoba. Nous restions tout près de mes oncles et de mon grand-père Bouvier. Nous habitions des terres où nous élevions des animaux et faisions des récoltes. Mes sœurs ont élevé la famille après la mort de ma mère lorsque j’avais 4 ans. J’ai toujours parlé le français et l’anglais, car mon père parlait les deux langues à la maison.
J’ai déménagé avec une de mes sœurs à Winnipeg le temps de suivre mon cours commercial à l’Académie Sainte-Marie. Une autre de mes sœurs m’a invitée à Vancouver pour que je puisse trouver un bon emploi.
À cette époque, plusieurs personnes déménageaient là dans l’espoir d’obtenir de meilleurs salaires.
J’ai passé deux jours en train avant d’arriver à North Vancouver. J’y ai trouvé un travail de bureau dans une compagnie de construction navale pour laquelle ma sœur travaillait déjà.
Par la suite, j’y ai trouvé un autre emploi grâce auquel je pouvais mettre en pratique mes habiletés de dactylographe. Je l’ai occupé pendant quatre ans avant de retourner à Gravelbourg, en Saskatchewan, pour étudier afin de devenir garde-malade.
J’ai été acceptée à l’Hôpital Saint-Paul, mais j’ai dû arrêter, car j’ai eu une infection aux yeux. Mes yeux sont ma faiblesse depuis que j’ai eu la scarlatine et la rougeole étant jeune.
Comme je n’ai pu finir ma formation, je suis retournée travailler près de Vancouver comme dactylographe pour une compagnie aérienne. Mon amie, intriguée par toutes les personnes qui voyageaient au Yukon, m’a proposé d’aller voir ce qui s’y passait. Nous avons trouvé des emplois à la Whitepass Yukon Route, elle comme dactylographe et moi comme opératrice de machine comptable.
J’étais la première à faire cela. Des cours du soir m’avaient permis d’obtenir cet emploi. C’était en 1951. Nous avons voyagé de Vancouver à Skagway en bateau et de Skagway à Whitehorse en train. Nous avons demeuré un moment au vieil hôtel Régina, et par la suite, nous avons emménagé dans une petite cabane en bois rond sur la rive du fleuve Yukon.
C’était rustique, nous avions une toilette à l’extérieur, nous chauffions au bois et nous n’avions pas l’eau courante et devions aller chercher l’eau. Dans mes bagages, j’avais apporté un peu de literie, un couteau, une fourchette, une assiette et une tasse. Je me débrouillais avec peu et je devais tenir la maison, car mon amie n’avait jamais appris à le faire.
J’ai vécu un moment à cet endroit avant de déménager dans une maison à deux chambres avec deux autres filles. Ensuite, j’ai habité avec un couple catholique sur la rue Black.
Au travail, il y avait peu de femmes, deux ou trois seulement. À cette époque, on ne nous permettait pas de porter autre chose que des robes. Mais l’hiver, c’est froid une robe. Un jour, une femme est arrivée en pantalons et elle ne voulait porter rien d’autre. Ainsi, peu à peu, nous avons pu nous aussi porter des pantalons.
Les femmes, nous étions bien traitées, car nous étions peu nombreuses. Le Yukon, c’était un bon endroit pour nous, car il n’y avait pas de « blondes ».
Le soir, nous pouvions aller danser à différents endroits en ville comme à la Legion, au Elks ou à la cantine de l’armée. Nous pouvions y boire, y manger et y rencontrer nos amis. Dans mes temps libres, je jouais aussi au curling et au baseball. Le curling était mon activité préférée. Cela me permettait de rester en forme et j’aimais la compétition. J’ai fait plusieurs tournois dans des équipes féminines ou mixtes à Swift River, à Haines Junction et à Whitehorse.
J’ai rencontré mon mari, Jerry Mahoney, un homme de l’armée originaire de Terre-Neuve, après une partie de baseball. Il est venu danser à la cantine de l’armée. C’est là que je l’ai connu. À la fin de la soirée, il m’a reconduite chez moi. La romance a débuté et notre première sortie fut la messe de minuit. Je ne le voyais pas souvent, car il avait peu de permissions de l’armée. Malgré tout, nous avons fini par nous marier deux ans après notre première rencontre. Nous nous sommes mariés à l’église Saint-Edmond de Whitehorse. Comme nous n’avions pas de famille, le couple catholique chez qui j’habitais nous a donné l’un à l’autre. Je suis devenue une Mahoney.
Après mon mariage, j’ai emménagé avec mon mari dans une roulotte à Atlin. Nous allions où son travail nous menait. J’avais laissé mon poste et je m’occupais de la maison. J’ai adopté un garçon à Vancouver et j’ai eu une fille. Comme je ne savais pas comment m’occuper d’un enfant, je suis allée à Victoria un moment pour que ma sœur me montre comment faire.
Par la suite, nous avons déménagé à Teslin. L’armée avait besoin de mon mari pour opérer la centrale électrique de Swift River. C’est là que j’ai appris à conduire ma Volkswagen avec l’aide de monsieur le curé et d’un ami de mon mari. Après avoir obtenu mon permis, j’ai enfin pu me déplacer avec mes enfants. J’ai aussi pu pratiquer ma religion et aller à la messe toutes les semaines.
Je connaissais alors peu de gens qui parlaient français : certains soldats, le père Tanguay de Teslin, une cousine et une amie métisse. Je parlais anglais la plupart du temps. Mon mari ne parlait pas français, mais il le comprenait, car il avait travaillé avec des soldats canadiens-français. Je parlais seulement les deux langues à la maison avec mes enfants. Ma fille a appris le français, mais pas mon fils, car il avait des problèmes d’apprentissage.
Teslin est mon endroit favori au Yukon. Alors que nous élevions nos enfants, mon mari et moi allions à la pêche sur le lac. Il conduisait le bateau et moi, je pêchais. Nous avions du poisson frais pour souper tous les vendredis soir.
Quand mon mari a pris sa retraite, nous avons emménagé dans une maison avec vue sur le pont, dans un coin calme de Teslin. Mon mari est maintenant décédé. À 88 ans, j’occupe seule avec mon chien cette maison près de l’eau. Mon fils habite avec sa famille à Edmonton et ma fille, à Whitehorse avec son conjoint.
La publication des biographies est l’une des initiatives du projet « Recueillir l’histoire franco-yukonnaise » de l’Association franco-yukonnaise.
Ce projet d’histoire orale, coordonné par Sylvie Binette, a été rendu possible grâce à la participation d’une équipe de quinze bénévoles incluant les membres du comité Société historique.
Cela représente un total de 435 heures de bénévolat.
Six personnes aînées ont été visitées à Whitehorse, Dawson, Mayo et Teslin.