Thibaut Rondel
En raison de son caractère particulier, le territoire du Yukon peine à retenir sa main-d’œuvre. À l’instar des entreprises de construction ou de tourisme, la plupart des employeurs sont en effet aux prises avec un taux de roulement des effectifs qui peut s’avérer problématique, passé un certain seuil.
Selon une étude du gouvernement du Yukon publiée en 2010 et intitulée Stratégies de recrutement et de maintien de l’effectif, un trop fort roulement de personnel pourrait en effet s’avérer très coûteux, occasionner la perte de clientèle et même miner le moral des employés. Le maintien de l’effectif serait donc un volet important du développement d’une main-d’œuvre saine, productive et motivée, autant qu’un moyen de réduire les impacts financiers notamment liés aux coûts de recrutement et au mauvais service à la clientèle, selon le document.
Quatre éducatrices sur le départ
À la Garderie du petit cheval blanc, à Whitehorse, la problématique du roulement de personnel existe bel et bien. La difficulté de recruter de la main-d’œuvre qualifiée s’ajoute encore à ce constat. « En 2013, quatre éducatrices seront à remplacer, sur un effectif de quinze personnes », explique la directrice de la garderie, France Garceau. « C’est beaucoup, d’autant plus que le réseau est limité; nous ne trouvons des éducatrices francophones formées qu’au Québec et en Saskatchewan. »
Selon Mme Garceau, la compétence des nouveaux employés et la nature même des services offerts par la garderie limitent pourtant la problématique du roulement de personnel. La familiarisation avec la mission et l’environnement de la garderie seraient a priori les seuls aspects importants dans la formation des nouveaux arrivants. « La plupart des éducatrices sont ici pour seulement un an ou deux et se donnent donc énormément. Et comme tout le monde ici est formé et opérationnel, je crois donc que nous avons une très bonne qualité de service », explique-t-elle. « De plus, les enfants changent d’éducatrice au bout d’un an, donc il n’y a pas de problème de suivi. »
Afin de retenir ses employés, la Garderie du petit cheval blanc mise principalement sur le montant des salaires, mais aussi sur la qualité de vie au Yukon. « Les salaires sont attirants pour les éducatrices, mais nous nous fions aussi à l’attrait du lieu et comptons sur le fait que le Yukon les fera rester le plus longtemps possible », indique France Garceau.
Une base stable
À l’Association franco-yukonnaise (AFY), la problématique du roulement de personnel est sensiblement différente. Alors que certains postes ou secteurs rencontrent un taux roulement relativement important, d’autres parviennent à présenter une certaine stabilité. « L’AFY peut effectivement avoir un taux de roulement élevé pour certains postes, mais il y a quand même une base stable », assure la directrice générale de l’AFY, Isabelle Salesse. « L’équipe de direction avec laquelle je travaille est relativement stable depuis cinq ans, et plus de la moitié des équipes de l’AFY travaillent ici depuis au moins deux ans. Certains secteurs sont juste plus touchés que d’autres. »
En raison de son statut associatif, l’AFY ne peut rivaliser en terme de salaires avec les entités privées ou gouvernementales. Afin de retenir ses employés, l’association tente donc de leur proposer certains avantages sociaux ainsi que des horaires plus souples. « Certaines personnes ont pensé postuler pour un emploi au gouvernement, mais elles aiment les conditions de travail à l’AFY et préfèrent rester ici, malgré l’attrait de meilleures conditions salariales », indique Isabelle Salesse. « À l’inverse, des gens commencent aussi à l’AFY pour pouvoir accéder à un poste au gouvernement. »
Malgré cette stratégie de rétention, l’AFY, comme de nombreux autres organismes, se heurte à des réalités qui ne dépendent pas d’elle. Du fait du renouvellement rapide de sa population, le Yukon a en effet hérité à juste titre du sobriquet de terre de passage. « Nous essayons de mettre des choses sur pied qui vont encourager les gens à vouloir rester, mais tout ça dépend aussi de leur motivation », assure Isabelle Salesse. « Si les jeunes francophones veulent vivre une expérience de deux ou trois ans au Yukon, nous aurons beau au début leur donner tout ce qu’ils veulent, s’ils veulent repartir dans leur famille ou ailleurs, ils partiront. Le Yukon n’est pas fait pour tout le monde à long terme. »
La problématique du recrutement
Pour Isabelle Salesse, la difficulté n’est pourtant pas tant de retenir les employés que de les recruter au départ. Le personnel spécialisé francophone ne court pas les rues de Whitehorse, et bien que les entretiens d’embauche puissent certes donner des indices sur les aspirations des candidats à rester au Yukon, ils ne peuvent en aucun cas constituer un critère de sélection. « Nous pourrions avoir ce genre de critère si nous avions un large choix de candidats, mais ce n’est pas nécessairement le cas », explique la directrice générale de l’AFY. « Nous leur demandons quelles sont leurs intentions et leur plan de carrière, pour essayer d’avoir une idée du temps qu’ils veulent rester ici, mais cela ne garantit rien, et nous ne pouvons pas embaucher des gens en nous basant sur ce critère. »
Isabelle Salesse assure par ailleurs que tout est fait pour que le taux de roulement du personnel de l’AFY ait un minimum d’impact sur la qualité des services offerts à la clientèle. « Un employé en apprentissage mettra peut-être un peu de temps pour tout maîtriser, mais on s’attendra à ce qu’il fasse un suivi rapide pour répondre au client dans un temps record », affirme-t-elle.
En 2008, le Bureau des statistiques du Yukon a mené une enquête auprès d’entreprises actives dans différents secteurs économiques afin de déterminer combien de postes à pourvoir étaient vacants, et quelle était leur expérience relativement au recrutement d’employés. 39,9 % des entreprises ont dit avoir eu des postes vacants au cours des six derniers mois. La majorité d’entre elles ont dit avoir de la difficulté à recruter du nouveau personnel.