La saison d’été plus courte et plus fraîche du Grand Nord ne rime pas forcément avec une plus petite production de produits frais pour les adeptes du jardinage. Dès la fin de l’hiver, petits et grands n’hésitent pas à mettre les mains dans la terre pour préparer leur potager.
Tout commence dans le sol
Au Yukon, la terre est pauvre, explique Michel Duteau, fondateur de l’entreprise de distribution d’amendements pour le sol YukonGrow. « Les sols sont jeunes avec peu de nutriments et de matières organiques — car englouties sous la glace pendant longtemps — sauf vers Dawson, explique le spécialiste.
Les températures froides ralentissent le processus de développement du sol, il faut le construire. »
Pour cet entrepreneur, la première chose à faire lorsqu’on débute est de faire analyser la terre. Pour cela, les adeptes de jardinage ont droit à une analyse par année offerte par le gouvernement yukonnais. En fonction des potentielles carences, le sol pourra être nourri avec des nutriments, du fumier, du compost et du charbon d’origine végétale (connu sous le nom de biochar en anglais).
Pour les personnes qui ne disposent pas de jardins, des solutions existent. « La façon la plus populaire est de faire pousser dans des bacs surélevés, ou bien dans des paniers suspendus », propose le Québécois d’origine.
Ces méthodes prennent peu d’espace et accumulent la chaleur plus facilement en raison de leur élévation. Il est aussi possible de construire son terreau de A à Z dans ces conditions.
Le temps des semences
Pour Jolene Billwiller, fondatrice de la pépinière Spruce Cottage Farm près de Haines Junction, le Yukon est malgré tout une terre aux mille possibles. « Nous avons tellement de lumière l’été que les choses s’équilibrent, malgré une saison de pousse plus courte », explique la professionnelle.
En fonction de ce que nous voulons faire pousser et du climat plus ou moins clément de l’année, le calendrier des semis et repiquages peut varier. Généralement, les ensemencements sont faits en mars puis transplantés début juin, précise Jolene Billwiller.
Pour Cécile Girard, jardinière amatrice depuis 1987 au Yukon, la qualité des semences est un facteur important de succès : « Il existe une banque de semences à Whitehorse grâce à la participation des jardiniers qui les apportent à l’automne et qui sont prêtées à tous. »
La grainothèque du ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources du gouvernement du Yukon permet d’introduire des plantes bien adaptées au climat nordique dans les jardins. Elles peuvent être complétées par un achat de graines et de plants à des pépinières locales.
Faire pousser ce que l’on aime manger
La leçon principale de la pépiniériste Jolene Billwiller est bien de semer uniquement ce que l’on aime déguster : « C’est beaucoup de temps et d’efforts. Si vous n’aimez que les choux frisés, ne faites pousser que ça! »
La deuxième leçon repose sur la localisation du potager. Elle préconise un lieu bien ensoleillé et de faire attention aux microclimats : « Éviter les endroits avec du vent ou en contrebas, qui pourraient être plus froids au printemps et à l’automne. »
C’est aussi l’avis de la francophone Cécile Girard. « J’ai construit des bacs de jardinage surélevés, j’arrose le matin, car l’eau va se réchauffer pendant la journée et j’utilise l’eau d’un réservoir également surélevé, plus chaude que celle du lac. »
Une infrastructure pour les légumes d’été et une dégustation toute l’année
Alors que les légumes racines, tels que les navets, les pommes de terre, les carottes, les betteraves, et tout ce qui ressemble à de la salade, sont moins sensibles au gel, les herbes et légumes sont plus fragiles et gagnent à être protégés.
« J’ai une petite serre où je plante mes courges, tomates, concombres et fines herbes. L’été, avec la lumière, il y fait vraiment chaud et la chaleur est conservée pendant la nuit », explique Cécile Girard.
Le secret de l’indépendance alimentaire pour Jolene Billwiller est de consommer en fonction des saisons. « Mangez les légumes frais que vous avez fait pousser l’été, plutôt que de les faire importer du Mexique. Pour l’hiver, conservez vos légumes racines dans un endroit sec ou bien dégustez-les fermentés. »
S’informer dans les livres et pratiquer seul ou en collectif
Selon la pépiniériste, il existe beaucoup de ressources pour apprendre. Elle conseille notamment Rodale’s Ultimate Encyclopedia of Organic Gardening. Dans le même esprit, la francophone prône la publication Yukon Gardeners Manual, disponible à la bibliothèque du ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources.
Pour les francophones de Whitehorse qui souhaitent apprendre et pratiquer à plusieurs et en français, un appel aux bénévoles pour le jardin scolaire sera lancé par l’Association franco-yukonnaise à la fin mai. Il sera possible d’entretenir tout l’été le nouveau potager des élèves du Centre scolaire secondaire communautaire Paul-Émile Mercier.
Malgré tout, les jardiniers et jardinières du Yukon devront se montrer téméraires en se lançant dans l’aventure d’un potager, car ils s’exposent à une perte éventuelle. « Le gel est le grand meurtrier de nos plantes — même en juillet on n’est pas à l’abri! Avec le temps, on apprend à dire au revoir à certaines plantes. Il y aura d’autres saisons. Il faut être content que ça pousse — jardiner, c’est un ensemble de petits bonheurs », affirme Cécile Girard.
Si des questions subsistent, les pépiniéristes répondent présents pour aider. « Je serai ouverte tous les week-ends à partir de mai et j’adore parler de plantes, c’est toujours un bel échange — peu importe l’expérience des jardiniers! », s’enthousiasme Jolene Billwiller.