Plus de 4 000 soldats des Premières Nations ont combattu pour le Canada pendant la guerre, selon les registres officiels du ministère des Affaires indiennes. Nombre d’entre eux sont restés anonymes, en plus de subir certaines discriminations.
Leur nombre pourrait s’avérer d’ailleurs plus élevé, voire doubler, car seules les personnes inscrites en vertu de la Loi sur les Indiens étaient officiellement reconnues par le Corps expéditionnaire canadien. Ainsi, ni les personnes des Premières Nations non inscrites ni les Métis n’ont été comptabilisés.
Au début de la Première Guerre mondiale, le Canada n’a pas de politique claire pour recruter les personnes des Premières Nations. Initialement, leur enrôlement n’était pas encouragé et certains candidats ont été refusés. Au Yukon, plusieurs volontaires des Premières Nations n’ont pas été autorisés à partir avec leur premier contingent « en raison des préjugés raciaux des autres hommes enrôlés. »
Cependant, face aux lourdes pertes et à la nécessité d’augmenter les effectifs, les politiques s’assouplissent. Par exemple, en 1915, des directives officielles ont été établies pour permettre le recrutement des personnes autochtones. En 1917, le gouvernement s’implique davantage en organisant des activités de recrutement dans les réserves.
Certaines compétences des communautés autochtones étaient alors précieuses pour les forces armées, notamment la patience, la ruse et l’adresse au tir, acquises grâce à la chasse. Ces qualités ont permis à plusieurs d’entre eux de devenir d’excellents tireurs d’élite et éclaireurs. Au moins 50 médailles pour actes de bravoure ont été décernées à des soldats autochtones durant la guerre.
Qui étaient-ils?
Michael Gates est l’auteur de plusieurs ouvrages historiques. Il a publié le livre From the Klondike to Berlin, en 2017.
Dans ce livre, l’historien rappelle que près d’un millier de Yukonnais et Yukonnaises, soit un quart de la population de l’époque, se sont enrôlés avant la fin de la Grande Guerre. « Avocats, banquiers, accordeurs de piano, dockers et mineurs sont devenus soldats, infirmiers et tireurs d’élite », rappelle-t-il.
Il retrace également la contribution des Premières Nations du Yukon.
Parmi eux, l’historien cite Elliott et Alfred Totty, ainsi que Kenneth et Hugh McDonald, tous fils de missionnaires anglicans et de mères autochtones, qui se sont enrôlés et ont servi avec distinction.
Hugh McDonald était marié et étudiait le droit à Winnipeg lorsqu’il s’est enrôlé le 4 janvier 1915. Kenneth McDonald s’est joint à la Marine royale.
Selon l’historien militaire Timothy Winegard, John Campbell, un Inuit vivant au territoire du Yukon, a fait un voyage de 3 000 milles par la piste, en canoë et en bateau à vapeur pour s’enrôler à Vancouver. Il avait déjà essayé de s’enrôler au Yukon avec trois hommes des Premières Nations. Ils ont tous été acceptés par le dépôt de recrutement et ont passé l’examen médical; cependant, à la suite de plaintes des hommes du contingent du Yukon, ils ont tous été sommairement renvoyés de l’unité. Aucun autochtone ou Inuit n’a été accepté pour servir au Yukon avant la conscription. »
L’historien fait également mention d’Alfred Clinton Totty, fils d’un missionnaire anglican et d’une mère autochtone de la colonie de Moosehide, près de Dawson. Il est l’une des rares recrues du Yukon à être d’origine autochtone. Il faisait partie du 78e bataillon de l’infanterie canadienne lors de l’attaque de la ligne Drocourt-Quéant lorsqu’il fut tué d’une balle de mitrailleuse dans la gorge le 2 septembre.
Walter Harper, fils d’Arthur Harper, pionnier de la première heure, et d’une femme autochtone, est mort lors du naufrage du Princess Sophia. « La femme de Harper l’accompagne. Elle allait étudier les soins infirmiers, lui la médecine. Ils ont tous deux péris à la toute fin de la guerre », rapporte l’historien.
Les oubliés
Fred Gaffen, historien militaire, publie en 1985 Forgotten Soldiers (Les soldats oubliés). Ce livre aborde de nombreux thèmes majeurs liés à la participation des Premières Nations à la Première et à la Seconde Guerre mondiales.
Il démontre que les contributions des membres des Premières Nations aux guerres ont souvent été oubliées par le public canadien.
On y apprend également que la transition n’a pas été facile pour tous les volontaires. « Avant l’arrivée de l’homme blanc, les autochtones, surtout ceux de l’est du Canada, considéraient la mort d’un individu comme une perte vitale pour le groupe social. Il fallait donc éviter les pertes importantes », peut-on lire.
Et plus loin : « Pour les personnes des Premières Nations qui avaient été élevées de manière traditionnelle, l’adaptation à la vie militaire posait des problèmes particuliers, notamment en ce qui concerne les relations entre les officiers et les hommes. Traditionnellement, chez les Premières Nations, la distinction entre le chef de guerre et les guerriers n’était pas aussi nette qu’entre les officiers et les autres grades. Les guerriers considéraient le chef de guerre comme un égal. »
Il rapporte également que « Bien plus que dans la communauté blanche, le guerrier jouissait d’un prestige et d’un statut dans la société autochtone traditionnelle. Pour certaines Premières Nations, l’enrôlement était motivé par la possibilité d’affirmer leur virilité. »
Et après?
Après la Première Guerre mondiale, les contributions des peuples autochtones au conflit sont largement ignorées. C’est après la Seconde Guerre mondiale que le pays a commencé à reconnaître leurs contributions.
Le retour vers la vie civile a été difficile pour nombre d’entre eux, comme les autres soldats non autochtones. De plus, de nombreux vétérans de guerre autochtones n’ont pas reçu le même traitement que les autres vétérans canadiens.
Par exemple, on peut lire sur le site fédéral des vétérans que « Le Canada a exproprié des centaines de milliers d’acres de terres de réserve à cette époque. Certaines de leurs terres ont également été prises et données à des non-Autochtones dans le cadre d’un programme qui accordait des terres agricoles aux vétérans qui revenaient de la guerre. Le gouvernement a généralement exclu les vétérans autochtones de ce programme de réinsertion et les a également traités injustement d’autres manières. […] Souvent, ils se sont vu refuser l’accès aux avantages complets offerts aux vétérans et aux programmes de soutien. »
IJL – Réseau.Presse – L’Aurore boréale