le Dimanche 8 septembre 2024
le Mercredi 2 juin 2021 21:43 Divers

Apprendre l’harmonie

Camp de pêche sur le bord du fleuve Mackenzie. Photo fournie.
Camp de pêche sur le bord du fleuve Mackenzie. Photo fournie.

Joe sortit de la maison et se planta debout sur le balcon. Tous le regardaient, attendant qu’il brise le silence.

Le silence, on le voyait partout ce jour-là. Il était sur toutes les bouches. Il flottait entre les gens. Autour et au-dessus de la maison où il montait jusqu’au trou dans ce ciel, chargé de nuages froids, dans lequel l’aigle était disparu quelques minutes auparavant. Les filles de Donald qui marchaient à pas pressés d’une maison à l’autre avec toutes sortes de choses nécessaires à la présentation le faisaient en silence. Les oiseaux s’étaient tus.

Camp de pêche sur le bord du fleuve Mackenzie. Photo Yves Lafond.

 

Tous savaient que la responsabilité de prendre soin de son peuple incombait à Joe. Si on le connaissait un peu, on comprenait à quel point il angoissait. Il lui était devenu pénible de rassembler son peuple. Les Vuntut Gwitchins sont pour la liberté de penser et ne se privent pas de l’exprimer avec beaucoup d’éloquence.

Quand Joe ouvrit enfin la bouche, on comprit qu’il avait confié ses tourments à Donald. Pour lui rendre hommage, il choisit de relater l’histoire que lui avait contée l’aïeul en guise de réponse. Il partagea les mots qui lui avaient été donnés.

Ça va à peu près ainsi : « Quand on faisait les grandes chasses d’hiver, c’était en groupe qu’on y allait. Il y en avait pour des jours de marche avant de rejoindre les caribous. C’était avant les skidoos. On envoyait les jeunes en avant. Ils étaient trois ou quatre ou plus à faire des traces. Les raquettes aux pieds, ils tapaient ainsi la neige pour ouvrir la voie au reste du groupe qui trainait tout le matériel nécessaire à l’expédition. À la fin de la journée, quand les anciens décidaient que c’était l’heure et l’endroit pour établir le campement, c’était habituellement au pied de la montagne, moins agressés par le vent, qu’ils l’installaient. Tandis qu’ils montaient les tentes pour la nuit, allumaient le feu, faisaient fondre la neige pour le thé, et préparaient le souper, les jeunes continuaient à marcher. Ils entamaient le flanc de montagne difficile à grimper. Quand tout était prêt, quelqu’un allait les chercher pour qu’ils puissent enfin revenir se reposer et se rassasier. Au matin, les jeunes repartaient en avant, sans se préoccuper de démonter le campement. Grâce aux traces fraiches, le groupe arrivait à les rejoindre en mi-journée. »

Je crois avoir compris la morale de cette histoire. Il ne faut pas craindre d’envoyer en avant les jeunes, armés de leur énergie et leur courage. Mais ces mêmes jeunes ne pourront réussir leur noble mais difficile mission qu’appuyés par les anciens qui suivent, armés de leur savoir.

C’est le genre d’histoires que j’aurais savouré entendre à l’école. Malheureusement, obnubilés comme nous le sommes par les avancées en recherche et les nouvelles découvertes, et tout le nouveau en général, nous avons une forte tendance à jeter par-dessus bord ces anciens savoirs, les considérant comme dépassés et seulement bons à retarder. On n’a pas de temps à perdre avec ça. Peut-être pourrions-nous faire une petite place à ces sagesses, à côté de l’alphabet latin et de nos chiffres arabes.

Nos connaissances sont basées grosso modo sur une évolution des connaissances accumulées depuis deux mille ans. Nous avons appris et continuons d’apprendre à conquérir. Nous avons commencé par l’ennemi, à qui nous disputions un territoire de survie. Nous croyant légitimes, nous avons continué sur cette lancée. Nous avons conquis les mers et de nouvelles terres, avant de conquérir le ciel.

Chemin faisant, nous nous sommes efforcés d’apprendre à conquérir la maladie, la liberté et le cœur de notre bien-aimée. Et maintenant, c’est au tour de l’univers et de la mort. La conquête gagnée après un dur combat est glorifiante. Combien parlent du combat contre le cancer pour le conquérir et l’éliminer?

Pas surprenant que nous ayons adopté la même aptitude avec la nature. Une fois conquise, la nature peut nous servir. Mais tout d’un coup, cette philosophie ne semble plus si bien fonctionner. Les dommages collatéraux font autant sinon plus de ravages qu’une sale guerre. Il commence à y en avoir beaucoup qui se questionnent. Mais ça revient quand même souvent au combat.

Je suis peut-être dans le champ totalement, mais se pourrait-il qu’on apprenne cette philosophie dès notre jeune âge? D’après le mythologue Joseph Campbell, c’est le cas. Pourrait-on revoir certains angles? Devrions-nous ajouter une nouvelle philosophie à tous ces apprentissages, comme l’harmonie? Avec la nature, avec notre planète?

Plusieurs disent qu’on en est rendu là. Si c’est le cas, qui serait le mieux placé que nos frères et sœurs autochtones qui vivaient déjà selon ce concept depuis la nuit des temps, sur cette terre que nous avons piétinée. On les a ignorés assez longtemps.

Il n’y a rien à perdre à introduire leur savoir dans nos écoles. En plus des chiffres et des lettres, il y a d’autres genres de lecture et d’autres moyens de communication que le cellulaire. Tout être issu de la nature communique constamment. C’est tout un art de reconnaitre et vibrer aux ondes découlant du contact avec tout ce méga réseau social. Entendre le tambour silencieux, comme c’est dit.

Les savoirs ne sont pas qu’issus des grandes académies. Les anciens ont ce talent de mettre les choses en perspective. Ils pourraient en montrer aux jeunes. Tant qu’à y être, on pourrait aussi unir nos savoirs en passant par nos anciens à nous. D’un bout à l’autre de ce grand pays, d’un peuple à l’autre, on pourrait ainsi nous aussi apprendre à vivre en harmonie.