Ça se passait au temps des jours insouciants.
Au Yukon, parfois, je dis bien parfois, pas à toutes les années de toute évidence, mais des fois, il y a de ces étés où le soleil se joint au ciel pour repousser les nuages déplaisants sans pour autant nous écraser de chaleur suffocante. Ces doux matins de fin juin s’étirent jusqu’au soir sans nulle perturbation pour les inquiéter. Les nuits rayonnant de clarté arrêtent le temps pour transformer l’été en une seule journée. Les oiseaux délectés de cette exquise volupté gazouillent sans se lasser. Le bleu de la toile où se pose le vert tendre des grands pins complète ce tableau parfumé de fragrances épicées des arômes de la flore s’éveillant vaillamment. Comme il est doux de s’y prélasser avec ce sentiment d’en faire partie en y étant totalement intégré.
C’était un de ces étés-là. Mon fils Manuel tenaillé depuis longtemps par ce projet (loufoque aux yeux de certains), n’avait pu choisir meilleure année pour le réaliser. Il avait décidé de venir me voir non pas en avion, ni en char ou en train, mais sur le pouce. Un soir, du salon où j’étais occupé à ne rien faire, j’entendis la porte d’entrée s’ouvrir sans délicatesse et des bruits de pieds frapper les marches de l’escalier avec fierté. Le temps de me lever en vitesse pour voir quelle connaissance entrait sans cogner, il se plantait bien droit face à moi moins de deux semaines après son départ. À voir les rayonnements du soleil imprégnés sur son visage, je compris que cette température bénite se reflétait à la grandeur du pays.
Évidemment, à cet âge, on est débordant d’énergie. Il n’avait pas fait tout ce trajet juste pour venir s’enfermer avec moi toute la soirée. Et comme Whitehorse n’est pas, n’était pas du moins, une ville cloîtrée, elle se prête bien au désennui.
Un soir, un texte : « un couple d’Américains cherche un endroit pour stationner leur van ». Ça se passait au temps des jours insouciants. Les portes étaient grandes ouvertes aux étrangers. Après un hiver isolé et encabané, dans un camion ou une maison, il faisait bon voir entrer de la vie dans nos salons. Quand de surcroît ces Américains se révèlent être musiciens, alors là, de la joie, il y en a plein. Michael et Kelly furent sûrement un des points culminants de cette saison mémorable. Avec Manu, ils passaient du temps à « jammer ». La soirée avant de repartir, ils trouvèrent le moyen d’enflammer la pizzeria d’à côté avec leur performance endiablée. Je n’étais pas peu fier de Manuel de les avoir dénichés.
Après avoir fait l’Alaska, ils retournèrent dans leur Oregon où ils y sont toujours. Confinés, comme nous tous. Maintenant, on le craint l’étranger. Non seulement lui, mais nos proches tout autant. On a même peur de se regarder dans le blanc des yeux, parce que paraîtrait que le virus peut entrer par là aussi. Mais ce qu’il y a de bon dans mon isolement, les souvenirs me rappellent ceux que mon chemin a croisés en me ramenant à ce qu’était le bon temps. Pour ta fête Michael, je n’ai rien d’autre à t’offrir que ce souvenir de ces quelques jours qui nous avaient tant enchantés Manuel et moi.
Vivement que ces jours ornés de légèreté nous reviennent en courant où vous pourrez retourner sur les routes égayer les gens que vous croiserez.