Décidément, cet hiver, ça n’arrête pas. Ça ne faisait pas deux jours que ce frette extrême nous avait lâchés que le vent s’est levé pour le remplacer. Il s’est levé vite, il s’est levé fort. Il a envahi toute la toundra. Pour y mettre un peu de piquant, il est arrivé accompagné de nuages débordant de neige. Résultat, j’écris ceci de la petite table de ma chambre de l’Hôtel Mackenzie d’Inuvik où je séjourne depuis hier et séjournerai dans les prochains jours parce que : « The road is closed! ».
Par la fenêtre soufflant de gauche, de droite, tournoyant vers le haut, vers le bas, on voit le vent tout fouetter en sifflant sans se fatiguer. Moi non plus, ça ne me fatigue pas. Bien assis à la chaleur, je ne me lasse pas de contempler sa danse endiablée.
Mais ce n’était pas le cas avant-hier. Au déjeuner, nous étions attablés dans la salle à manger d’Eagle Plain, mes deux comparses et moi. Novices de l’Arctique, je m’amusais à les étriver pour les épeurer en les avertissant de la saison des blizzards qui s’approchait à grands pas. L’un des deux, me prenant au mot, a sauté sur son téléphone pour vérifier mes dires et nous a montré un avertissement de blizzard en vigueur. Le cuisinier venait de déposer mon déjeuner. Je regardai l’assiette en me disant que l’expérience me commanderait de la laisser dret-là et de sauter dans mon camion pour décoller au plus sacrant. Comme je n’avais rien mangé de la journée la veille, tentant de soigner une grippe carabinée ; tant pis, je déjeune. Quand on est sortis de l’hôtel, vingt minutes plus tard, les drapeaux sur le toit avaient viré de bord. Le vent arrivait du nord. Je regrettais déjà mon déjeuner. On a traversé Hurricane Alley de peine et de misère. Malgré la visibilité déjà presque nulle, on devait maintenir une certaine vitesse malgré tout pour fendre les bancs de neige traversant le chemin en se gonflant sous nos yeux. D’ores et déjà, je savais qu’il n’y aurait pas de retour ce soir-là.
Tous arrivés à Inuvik, l’un des gars fut le premier à vider sa cargaison. J’étais le deuxième. Quand le premier eut terminé, il vira de bord et dit : « Moé, j’m’en vais. » Ce n’était pas mon plan. Je ne tenais pas à aller vivre l’action en pleine nuit ayant besoin de toute mon énergie pour soigner cette maudite grippe qui traînait et m’affaiblissait. Le troisième derrière moi décida lui aussi de se coucher pour la nuit.
Au matin, le couperet était déjà tombé : The road is closed. Résultat : notre copain s’est fait immobiliser en début de montagnes et nous, ça fait deux jours qu’on est à l’hôtel.
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Quack quack quack. Non, mais c’est quoi ce texto à cinq heures un dimanche matin? C’est la répartition.
Premièrement, de la lumière. Deuxièmement les lunettes afin de voir ce qu’elle veut celle-là. Quoi? La route serait ouverte? En pleine nuit? Ce serait une première. Il doit y avoir une erreur. Il est où le site pour les conditions de route? Damned! Il est de bonne heure pour pitonner. Le téléphone sonne, c’est mon partenaire. « As-tu vérifié l’information? », « Oui, qu’il me dit, la route est ouverte. » Zut! On prendra le temps de se réveiller tranquillement une autre fois. Là, il faut se grouiller les argots. Let’s go. Moins d’une demi-heure plus tard, après avoir refait le plein, nos moteurs tournant au ralenti depuis deux jours dans ces froids extrêmes, on part. Mon copain roule quelques minutes devant moi. Rendu à Fort McPherson, dernier village avant les montagnes, il m’appelle à la radio : « Ça veut dire quoi les feux rouges clignotant sur cette pancarte le long du chemin? » « Ça veut dire : arrête-toi. Ils ont refermé la route pendant qu’on roulait. The road is closed. »
The road is closed. C’est l’expression qui je crois, m’a le plus frappé quand je suis revenu au pays. On n’entend pas ça dans le Sud. On n’entend plus ça. On ne tolère plus que quoi que ce soit puisse nous arrêter ou même modérer notre cadence. C’est devenu sacrilège. Au contraire, on est dans le culte de l’accélération constante. Comme disait l’autre : « Je ne sais pas où on s’en va, mais on y va vite en maudit. »
Alors, quand je suis arrivé par ici, je dois avouer que ça m’a un peu déstabilisé. La nature est reine. Quand elle décrète que tu arrêtes, tu obéis sans essayer de jouer au plus fin avec elle. Elle pourrait te faire payer un prix très élevé pour avoir osé tenter la défier. Alors on apprend à vivre avec et vous savez quoi? Ce n’est pas si déplaisant que ça vivre au rythme du temps et des saisons. Ça aide à devenir conscient de ce qui nous entoure. La nature est une bonne reine.
Ça fait cinq jours qu’on est ici à Fort McPherson à attendre dans nos camions. Avec les deux jours à Inuvik, ça fait sept jours en tout. Mon compagnon de fortune s’impatiente un peu. Il vient du Sud.
Moi? Il me revient en tête cette vieille chanson de bûcherons que j’ai un peu adaptée : « Nous partîmes pour un voyage en gros truck dans le Grand Nord. Souvent entre les petits blizzards et les froids à ne pas coucher dehors. Tadam tadam dam tadam tadam. »