le Mardi 8 octobre 2024
le Jeudi 26 septembre 2024 7:46 Éducation et jeunesse

Pénurie d’enseignants francophones : quelles solutions?

Face à la pénurie qui s’aggrave, les acteurs de l’éducation appellent à redonner ses lettres de noblesse à une profession de plus en plus mésestimée.  — Photo : Arthur Krijgsman – Pexels
Face à la pénurie qui s’aggrave, les acteurs de l’éducation appellent à redonner ses lettres de noblesse à une profession de plus en plus mésestimée.
Photo : Arthur Krijgsman – Pexels
En cette rentrée 2024, les enseignants francophones se font de plus en plus rares et la pénurie touche désormais les villes. Les conseils scolaires rivalisent de propositions pour attirer les candidats. Mais selon les acteurs de l’éducation, ces stratégies resteront inefficaces si le métier n’est pas revalorisé et les conditions de travail améliorées.

« Tous nos postes d’enseignants sont pourvus, mais c’était très serré. Certains étaient encore vacants quelques jours avant la rentrée », témoigne le directeur général du District scolaire francophone du Nord-Ouest (DSF-NO), au Nouveau-Brunswick, Luc Caron.

À l’évocation du recrutement, le responsable n’hésite pas à parler de « casse-tête » et de « stress continuel. »

En Nouvelle-Écosse, le Conseil scolaire acadien provincial (CSAP) espérait dénicher quelque 170 enseignants; une vingtaine de postes demeurent inoccupés. « En attendant, toutes les classes ont un suppléant à temps plein certifié par la province », assure le directeur général, Michel Collette.

Même son de cloche du côté du Conseil des écoles fransaskoises (CÉF), où une dizaine de postes ne sont toujours pas pourvus. Le CÉF a, lui, été contraint de faire appel à des individus non certifiés, des retraités de l’enseignement dans le meilleur des cas.

Apprentissage des élèves fragilisé

Le recours à des enseignants non qualifiés est nécessaire dans plusieurs provinces. Au Nouveau-Brunswick, Luc Caron a dû se tourner vers neuf personnes sans brevet d’enseignement.

En Ontario, 150 personnes étaient non certifiées en 2015-2016, contre 700 en 2021-2022, rapporte l’Association des enseignants et des enseignantes franco-ontariens (AEFO).

Tous les directeurs de conseils scolaires affirment offrir un soutien accru aux novices, comme des formations, des ressources pédagogiques ou un accompagnement en gestion de classe.

Mais ces arguments ne convainquent pas les syndicats. « Ça ne donne pas aux apprenants les compétences et les connaissances dont ils ont besoin pour réussir dans le futur », déplore la présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick (AEFNB), Stéphanie Babineau.

Plus de retraités que de recrues

De nombreux facteurs expliquent la pénurie. Les acteurs de l’éducation mettent en cause les départs à la retraite massifs des générations du babyboum.

« À la suite de la pandémie de la COVID-19, on a aussi commencé à voir des mouvements de départ à la retraite anticipée », rapporte le directeur général de la Commission scolaire francophone du Yukon, Marc Champagne.

Au même moment, les jeunes désertent les formations postsecondaires en enseignement. « Ça crée un déséquilibre naturel. Il y a plus d’enseignants qui quittent le métier que de nouvelles recrues à même de les remplacer », résume Marc Champagne.

Les besoins n’ont pourtant jamais été aussi pressants. « L’éducation en français n’a jamais été autant populaire et le nombre d’élèves dans nos écoles grandit constamment », affirme Ghislain Bernard à la Commission scolaire de langue française de l’Î.-P.-É.

Au Yukon, Marc Champagne s’inquiète aussi de la difficulté de trouver des suppléants. « C’est la catastrophe. Ça apporte beaucoup de stress au quotidien. »

Photo : Maryne Dumaine

« Ça alourdit la tâche de travail des enseignants qui doivent souvent aider ces recrues inexpérimentées », poursuit la présidente de l’AEFO, Gabrielle Lemieux.

En Saskatchewan, le directeur du CÉF, Ronald Ajavon, reconnait que « ce n’est pas l’idéal. Mais nous n’avons pas le choix, la pénurie, omniprésente depuis dix ans, s’est aggravée au cours des trois dernières années. »

La pénurie gagne les villes

Les difficultés de recrutement sont encore plus grandes en milieu rural. À l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.), le directeur général de la Commission scolaire de langue française (CSLF), Ghislain Bernard, évoque un « processus compétitif en ville, avec souvent cinq à douze candidatures pour un poste. À l’inverse, à la campagne, les postes suscitent peu d’intérêt et peuvent rester ouverts plusieurs mois. »

La pénurie gagne cependant les villes. « C’est rendu difficile partout », explique Michel Collette. De la même manière, le directeur des ressources humaines du Conseil scolaire public du Grand Nord de l’Ontario (CSPGNO), Éric Despatie, parle d’un manque de personnel qui affecte pas mal toute la région.

Néanmoins, certains conseils scolaires s’en sortent mieux que d’autres. À l’Î.-P.-É., la CSLF a réussi à engager les 15 nouveaux enseignants qualifiés dont elle avait besoin. Ghislain Bernard note tout de même des embauches de plus en plus dernière minute. « Il y a dix ans, tous les postes étaient remplis en juin. Aujourd’hui, le processus dure jusqu’en septembre. »

Les responsables de l’éducation dans le Grand Nord canadien s’estiment également chanceux. Aucun enseignant ne manque à l’appel au sein de la Commission scolaire francophone des Territoires du Nord-Ouest (CSFTNO) et de la Commission scolaire francophone du Yukon (CSFY).

« Ça reste difficile. Ça prend plus de temps qu’avant, mais la pénurie ne nous affecte pas autant que les gros districts scolaires de l’Ontario ou du Nouveau-Brunswick », relève la directrice générale de la CSFTNO, Yvonne Careen.

Le directeur général de la CSFY, Marc Champagne, fait le même constat. « Sur les cinq dernières années, on a de moins en moins de candidats qui appliquent. »

Travail de prospection

Dans ce marché du travail particulièrement tendu, les conseils scolaires sont présents sur tous les fronts. Ils écument les foires d’emploi et les campus universitaires à travers le pays, se font connaitre sur les réseaux sociaux.

Ils rivalisent aussi de propositions alléchantes pour attirer les candidats. Le CSAP et le CÉF offrent des bourses d’études, d’autres développent du mentorat et tous approchent les futurs diplômés en éducation avec des contrats permanents.

Le CSPGNO couvre les frais de déménagement au-delà de 200 kilomètres. Le CÉF travaille avec les universités saskatchewanaises pour rendre leurs formations plus accessibles aux jeunes des régions rurales.

La CSFY a lancé un projet pilote de séjour exploratoire en partenariat avec l’Association franco-yukonaise. Les candidats intéressés ont été invités à visiter le Yukon. « Ça nous a donné beaucoup de visibilité à l’échelle du pays. Nous avons reçu plus de 80 CV », se réjouit Marc Champagne.

Le recrutement à l’international reste une autre solution privilégiée. L’an dernier, le CSPGNO a embauché 11 personnes à l’étranger.

Dans les Territoires du Nord-Ouest, Yvonne Careen compte, elle, sur le bouche-à-oreille. « Les meilleurs vendeurs, ce sont les professionnels qui ont déjà travaillé avec nous. »

Une pénurie qui va durer

Pour les syndicats, ces efforts ne règlent pas le problème à long terme. Selon eux, le monde de l’éducation doit avant tout s’attaquer au problème de l’attractivité du métier.

« L’attitude négative de la société, la remise en question de l’école publique, du professionnalisme et de la compétence des enseignants crée une tempête parfaite. Les jeunes ne choisissent plus cette profession », analyse Stéphanie Babineau.

Elle pointe également la charge de travail qui s’alourdit de façon alarmante ou encore la violence en hausse.

Les directions scolaires appellent de leur côté à réduire le nombre d’années d’études pour le baccalauréat en éducation, tout en revoyant à la hausse les financements des facultés et le nombre de places dans les programmes de formation.

Car la pénurie n’est pas près de s’arrêter, bien au contraire. D’après les données de l’AEFO, les besoins sont tels en Ontario que 1 000 étudiants devraient être formés annuellement durant les quatre prochaines années. Seulement 450 nouveaux enseignants sont diplômés chaque année.

« La pérennité du système francophone est en jeu. C’est un cercle vicieux, la pénurie ajoute un fardeau aux enseignants en place, ce qui les incite à quitter la profession », alerte Gabrielle Lemieux.

Au Nouveau-Brunswick, Luc Caron anticipe 200 postes à combler d’ici 2031. « C’est impossible que l’Université de Moncton nous fournisse autant de monde, il va falloir réfléchir à de nouvelles stratégies. »

Francopresse a tenté de rejoindre des intervenants de toutes les régions. L’article a été produit avec ceux qui ont été en mesure de répondre avant la date de tombée.