En 2018 et 2019, malgré la recommandation de la CSFTNO d’accepter les enfants de cinq parents non-ayants droit au sein de ses établissements scolaires francophones, Caroline Cochrane, alors ministre de l’Éducation des T.N.-O., rejette ces demandes sous prétexte que les parents ne détiennent pas le droit à l’éducation en français selon les conditions de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Les parents qui ont le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité (les ayants droit), ici en français, doivent détenir la citoyenneté canadienne, avoir le français comme langue maternelle, avoir reçu au moins une partie de leur éducation en français ou avoir un autre enfant qui a reçu au moins une partie de son éducation dans cette langue.
Pour qu’un enfant de parents non-ayants droit puisse fréquenter une école en français, la CSFTNO doit évaluer et approuver une demande d’admission des parents, puis la recommander au ministère de l’Éducation, qui peut alors accepter ou rejeter la demande.
La même année, face au refus du ministère de l’Éducation des T.N.-O., la CSFTNO intente un recours judiciaire.
Comprendre les valeurs de l’article 23
Jean-Sébastien Blais, président de la CSFY, soutient que le jugement est important, car il nous incite à comprendre l’article 23 dans le contexte des valeurs qui soutiennent son libellé.
« Ce que la cour a décidé, c’est que le gouvernement du Territoire du Nord-Ouest avait une approche trop étroite ou littérale [de l’article 23], et qu’il fallait prendre en compte les besoins pédagogiques, les besoins de la communauté, et les principes sous-jacents de l’article 23 », explique-t-il.
Jean-Sébastien Blais reconnaît que l’accueil d’un nouvel ayant droit dans une école francophone représente un certain coût pour le territoire : « L’enseignement coûte plus cher en français. Le gouvernement doit déployer des ressources plus grandes pour avoir les outils pédagogiques. »
Toutefois, il rapporte que « dans ce jugement, la Cour enseigne que la valeur du dollar, la valeur de la dépense pour accueillir les ayants droit ne peut pas être la raison pour laquelle on ne peut pas les accueillir. Il faut penser à la valeur pédagogique ».
Prendre en compte la réalité de l’immigration
Pour Simon Cloutier, président de la Fédération nationale des conseils scolaires francophone (FNCSF) et commissaire scolaire à la CSFTNO, « ce jugement tant attendu est une belle victoire qui reconnaît l’importance du rôle que joue l’immigration francophone pour la vitalité et la pérennité des communautés francophones en situation minoritaire au Canada ».
De son côté, Jean-Sébastien Blais insiste : « Les immigrants francophones doivent se retrouver dans nos salles de classe. Ils parlent français, ils ont une éducation, une culture francophone. »
Il apporte également un autre point : le jugement va entrainer une révision du respect du quota des 5 %.
En effet, on peut lire dans les politiques de gouvernance de la CSFY que « le nombre d’élèves que la CSFY peut admettre en vertu des catégories 6 et 7 (« Anglophone » et « Immigrant ne parlant ni français ni anglais ») ne peut dépasser 5 % de la population étudiante totale d’une école, sauf si le ministre de l’Éducation y consent au cas par cas, à la demande de la CSFY ».
« Quand l’article 23 a été mis en place avec la Charte canadienne des droits et libertés, l’immigration n’était pas aussi présente au Canada qu’aujourd’hui. Les choses ont changé, le Canada a depuis une forte immigration et une bonne partie d’entre eux au Yukon sont francophones. Est-ce qu’on peut dire que tel immigrant peut être reçu mais une fois qu’on arrive à notre quota, on ne peut plus en recevoir? Donc en regard de tout ça, il faut avoir une discussion franche et honnête sur la valeur d’un quota et pour moi, il est clair qu’il n’y a pas de quota à avoir dorénavant », affirme Jean-Sébastien Blais.
« Je pense qu’il y a une sérieuse réflexion à faire par les commissaires scolaires au niveau de comment concilier le jugement de vendredi avec une nouvelle mouture d’une politique d’admission qui prendrait pleinement en compte l’instruction de la Cour suprême », ajoute-t-il.
« Il y a déjà un consensus chez les commissaires d’en discuter à la réunion de janvier. C’est une obligation de prendre en compte le désir des familles. L’éligibilité ne devrait pas être contrainte par un quota, mais ce devrait plutôt être une décision qui est basée sur la pédagogie et le succès en éducation », conclut le président de la CSFY.
IJL – Réseau.Presse – L’Aurore boréale