le Mercredi 11 septembre 2024
le Jeudi 4 avril 2024 8:00 Culture

L’improvisation sur le devant de la scène francophone

Au Yukon, la Fabrique d’improvisation du Nord anime les soirées de la communauté francophone depuis 2022. 
 — Photo : Félix Turcotte
Au Yukon, la Fabrique d’improvisation du Nord anime les soirées de la communauté francophone depuis 2022.
Photo : Félix Turcotte
FRANCOPRESSE - Le théâtre d’improvisation, communément appelé «impro», participe à la vitalité des communautés en situation minoritaire. Partout au pays, sur scène ou sur les bancs d’école, cette pratique donne une voix aux francophones et à leurs accents, sans distinction.

Qu’elles soient implantées depuis longtemps ou fraichement débarquées, les ligues d’improvisation patinent d’un océan francophone à l’autre.

En Ontario, la mise au jeu se fait dès l’école.

Chloé Thériault se rend dans les salles de classe du Conseil scolaire catholique Nouvel-Ontario (CSC Nouvelon) pour donner des formations.

Le but? «Redonner vie à la culture de l’improvisation dans les salles de classe, parce qu’ici à Sudbury, on n’a presque pas ou même pas d’équipe d’improvisation dans les écoles, explique la comédienne. C’est quelque chose qu’on veut faire repartir de nouveau.»

Elle-même a commencé par faire partie d’une ligue à l’école, avant de continuer vers le théâtre.

Or, la plupart des jeunes avec qui elle travaille aujourd’hui sont des novices. «Ils savent ce qu’est l’improvisation, mais ils n’ont jamais joué de match dans leur vie. Alors je commence à zéro et je leur enseigne les règlements de base.»

Formations dès l’école

En Ontario, le Centre franco travaille avec le ministère de l’Éducation pour développer l’animation culturelle au sein des conseils scolaires. L’improvisation fait partie des prérogatives pour promouvoir la langue française et la culture francophone auprès des élèves.

«Il y a des ateliers qui sont offerts aux jeunes pour justement développer des équipes, principalement dans les écoles secondaires. Au niveau provincial, il y a annuellement deux tournois : le Gazou d’or et l’AFOLIE», rapporte Louise Allard, leadeur provincial en animation culturelle et construction identitaire au Centre.

Pénalité pour les anglicismes

L’activité oblige en outre les jeunes à parler en français et à peaufiner leur vocabulaire. «Quand on se met à jouer un match d’impro, il y a une pénalité angliciste. L’élève est confronté à soi-même : “Ah man, j’ai une bonne idée, mais je ne peux pas la dire en anglais comme ce que je voudrais.”», indique Chloé Thériault.

Selon elle, ils réalisent qu’en pratiquant davantage la langue, ils donneraient plus rapidement la réplique.

«Il y a des petites cloches qui sont en train de sonner. Ça continue à parler dans les corridors. Ça les pousse à s’exprimer parce que je sais que des fois, dans les cours, il y a des élèves qui vont poser leurs questions en anglais et on laisse passer ça. Mais on ne peut pas laisser passer ça en improvisation.»

À l’heure des courtes vidéos TikTok, l’impro reste aussi bénéfique pour le côté créatif des jeunes, estime-t-elle. «Il semble avoir comme un déclin de créativité chez la jeunesse. On ne sait pas comment inventer une histoire qui dure plus que 30 secondes.»

Une discipline fédératrice

Plus à l’Est, l’impro a bel et bien pris son envol. Au Nouveau-Brunswick, les ligues sont légion.

«Il y a à peu près six ligues ou projets récurrents d’improvisation dans la province qui touchent la sphère adulte», détaille Isabel Goguen, directrice générale d’Improvisation NB, un organisme sans but lucratif qui appuie la pratique dans toute la province.

Pour elle, la force de l’impro réside avant tout dans son accessibilité : elle ne nécessite pas beaucoup de matériel ni de moyens. «Tu peux juste commencer à créer un comité, un projet dans ton milieu scolaire ou communautaire, avec juste le devoir de jouer.»

Isabel Goguen souligne aussi le côté fédérateur de la pratique. «Le match, qui est le format le plus connu, permet un peu de franchir la ligne entre le sport et l’art. Ça peut aller rejoindre différentes sortes de personnes, les rassembler, les faire se rencontrer.»

«Ça rejoint aussi tous les âges. Je trouve ça toujours impressionnant de voir dans le public des gens qui ont des horizons très différents», corrobore Marie-Claude Desroches-Maheux, cofondatrice de la Fabrique d’improvisation du Nord (FIN).

Cette ligue d’improvisation a vu le jour en mars 2022, à Whitehorse au Yukon. «On a réussi à s’intégrer dans l’habitude du terrain de la communauté franco-yukonaise», se réjouit l’organisatrice.

À lire aussi : Une ligue d’improvisation francophone débarque à Whitehorse (L’Aurore boréale)

Du Nouveau-Brunswick au Yukon

L’association propose des matchs tous les jeudis soirs ou presque, entre octobre et mai. Elle affiche une vingtaine de matchs par saison au compteur, 16 joueurs et joueuses, et trois arbitres en rotation.

«C’est devenu un rendez-vous pour les gens qui arrivent au Yukon. Quand une nouvelle personne intègre la communauté francophone, ce n’est pas très long avant que les gens lui parlent de la ligue», rapporte Marie-Claude Desroches-Maheux.

L’impro aide aussi les nouveaux arrivants à s’intégrer et à se bâtir un réseau. «Semaine après semaine, la fréquence de la pratique vient renforcer l’identité et établir des liens avec d’autres parlants français», commente Christine Dallaire, professeure à l’Université d’Ottawa.

«Cela rattache au réseau et contribue au sentiment d’appartenance à la communauté. On prend sa place dans la francophonie», observe-t-elle.

Mettre en avant les accents

«Ça met en scène des gens qui s’expriment en français à leur façon, avec leur accent», remarque Isabel Goguen au Nouveau-Brunswick.

«On peut sentir que notre accent est valide et a sa place dans la communauté, dans le milieu culturel, artistique, parce que là on le voit, on le voit être utilisé et joué en scène», ajoute-t-elle.

La pratique permet ainsi selon elle de lutter contre l’insécurité linguistique, car les joueurs ne sont pas dans un «contexte évaluatif». «Il n’y a personne qui est en train de noter ta performance orale. Tu es libre de t’exprimer comme tu veux, avec les choix de mots que tu veux, avec les régionalismes», témoigne-t-elle.

Une langue bien vivante

«La langue n’est pas nettoyée en impro, complète Marie-Claude Desroches-Maheux. C’est vraiment la langue telle qu’elle est parlée. Pour les gens qui arrivent par exemple de l’Europe, c’est toute une immersion linguistique pour eux.»

La cofondatrice de la FIN ajoute : «En milieu minoritaire, on peut vite ressentir un complexe, mais là, au contraire, je trouve qu’on se décomplexe en venant à l’impro, que ce soit comme joueur ou comme membre du public.»

«Ça met aussi en scène le fait que parler, c’est quelque chose qui est vivant, qui change, selon le contexte, la situation […] Ce n’est pas juste binaire, mauvais parler ou bon parler; il y a une variété de formes de parler, même à l’intérieur d’une seule personne», renchérit Isabel Goguen.

Au Yukon, Marie-Claude Desroches-Maheux rêve de matchs à grande échelle. «Si un jour on réussit à trouver les fonds pour ça, on aimerait bien organiser un tournoi interprovinces ou interterritoires, ou du moins inviter une équipe d’une autre province à venir jouer.»

La Fabrique d’improvisation du Nord joue à Whitehorse, au Yukon, les jeudis soirs.

Photo : Jonathan-Serge Lalande