« Je dirais que mon domaine, c’est plus une trajectoire qu’un domaine fixe. Et sur la trajectoire, on peut placer quelques points saillants. Le premier, ce serait l’archéologie. »
L’archéologie, pour répondre à ses propres questions
Kim Pasche a commencé son parcours autour d’une passion : l’archéologie expérimentale.
« Gamin, chez mon grand-père, je lisais des magazines comme Geo ou National Geographic qui parlaient des peuples traditionnels. On présentait notre civilisation comme un peuple qui avait évolué, et donc ça insinuait qu’ailleurs sur Terre, les peuples premiers auraient été des espèces archaïques qui n’ont pas évolué. Ce narratif sur l’évolution me dérangeait. » L’archéologie se présente donc pour lui comme une évidence : « J’ai essayé de répondre à ma propre question : ils sont passés où, nos autochtones à nous? »
À 19 ans, après ses études secondaires, il prend une année pour étudier l’archéologie en auditeur libre et achève sa formation de façon autodidacte. « C’est une démarche militante et consciente », précise-t-il. « J’ai suivi une formation en auditeur libre car je ne voulais pas avoir de diplôme. Je n’ai pas besoin d’une institution pour reconnaître mes compétences », affirme-t-il.
En parallèle de ses cours théoriques, il travaille la pratique avec des archéologues expérimentaux, en Suisse, pour apprendre la taille du silex, le tannage des peaux, etc.
Il s’intéresse alors à tout ce qui a trait à l’archéologie expérimentale et la préhistoire. « Donc la mise en pratique, les savoirs et les gestes associés à cette période. Sachant que la préhistoire, c’est très très vaste, on ne s’en rend pas vraiment compte. Si on prend juste la préhistoire de notre espèce, c’est 250 000 ans. »
Cette quête d’apprentissage et d’expérimentation l’amène au Yukon. Si en Europe son métier explore un passé lointain éteint, il trouve au Yukon un lieu où ces savoirs sont encore actifs. « Les savoirs-gestes que moi j’ai pu aborder par l’archéologie en Europe, ici, ils sont abordables […] ils sont encore pour la plupart vivants. Par les Premières Nations. »
« Le deuxième point saillant de mon parcours, je dirais que c’est ma soif de compréhension de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs en Europe. C’est ce qui m’a poussé à essayer de rencontrer des chasseurs-cueilleurs encore existants sur terre, et c’est ce qui m’a amené au Yukon, en fait. » Il ajoute aussi que le Yukon ressemble beaucoup à ce que ressemblaient les Alpes, il y a 10 000 ans. « J’ai cherché un lieu qui me permettrait de me rapprocher de mes propres ancêtres. »
À 21 ans, il arrive au Yukon et trouve un tanneur qui accepte de le prendre sous son aile. Il travaille ainsi à Tutshi Tanning, seule tannerie au nord du 60e parallèle, pendant deux ans.
La trappe, pour « se mouiller vraiment »
« En venant ici, j’ai très vite compris que toute ma démarche de vouloir retrouver une filiation ancestrale n’aurait de sens que si je me mouillais vraiment », explique celui qui se définit volontiers comme un homme des bois. Au-delà des savoirs académiques anthropologiques « qui regardent de loin », il a préféré « prendre part à ce qui se passait ici ». Il se rapproche de trappeurs et commence à vivre au fond des bois.
« Finalement, j’ai un peu perdu ma casquette que moi j’aurais interprétée comme chercheur, pour essayer de devenir humblement un bon trappeur, quelqu’un qui peut se débrouiller dans les bois. Attraper sa subsistance. »
Réactiver la mémoire, pour les Premières Nations
À sa grande surprise, tous ces savoirs associés à la préhistoire qu’il mettait en pratique ici ont été perçus comme pertinents dans les communautés des Premières Nations. « Il y a un vrai challenge de maintenir ces savoirs. »
Depuis plusieurs années, Kim Pasche se rend donc régulièrement dans les communautés d’Old Crow et de Mayo (ville où il réside désormais pour environ la moitié de l’année) pour travailler avec les Premières Nations et contribuer à maintenir des savoirs-gestes traditionnels.
« Par mes savoirs techniques, je peux être les petites mains des aîné·e·s qui eux n’ont plus forcément la force de mener ces ateliers. Donc en gros, je suis un acteur parmi d’autres dans les communautés avec une spécificité qui est mon savoir technique. » De la vannerie au tannage de peau, en passant par l’allumage de feu avec deux bouts de bois, Kim rend accessibles ces savoirs associés à un passé « pas si lointain pour les Premières Nations […] ».
« On pourrait dire que je fais une sorte de réactivation de la mémoire. »
Réapprendre aux peuples orphelins
En Europe, Kim Pasche offre aussi des ateliers de savoirs-gestes traditionnels. « Si mes ateliers au Yukon ont à voir avec une culture vivante qui cherche son chemin vers demain, en Europe ces savoirs sont proposés à des orphelins d’un passé traditionnel. C’est comme si en Europe, on voyageait dans le temps! C’est-à-dire que l’Europe est potentiellement le Canada du futur. Si on ne fait rien aujourd’hui au Canada pour préserver ces savoirs-là, alors dans 200 ans, les Premières Nations canadiennes seront comme nous en Europe », affirme-t-il.
Transmettre par l’écriture et par les documentaires
Au-delà des ateliers, Kim est aussi le directeur de rédaction d’un magazine, La tribu du vivant, « un magazine qui cherche à retracer ou à éclairer des modes de vie un peu hors normes ». On y trouve des articles sur des aînés, des dialogues impossibles entre une plante et un homme, des techniques de vie dans le bois ou des regards authentiques sur des peuples premiers de la planète. « On a fait le magazine qu’on aurait voulu lire et qui n’existait pas! »
Kim est aussi auteur et vient de publier L’endroit du monde, qui retrace son parcours et son choix de vivre partiellement au Yukon.
Enfin, Kim a créé ou participé à différents documentaires, dont Life Below Zero, une série documentaire américaine.
« Mon parcours, il n’existait pas, je l’ai créé moi-même. Dedans, il y avait le plaisir et la soif d’apprendre ces savoirs-gestes et de les transmettre. La joie de savoir faire du feu en frottant des bâtons est inégalable, personne n’aura cette satisfaction en jouant avec un smartphone! », conclut-il.
La série « Portraits carrière » est une collaboration entre l’Aurore boréale et l’Association franco-yukonnaise. Elle est réalisée grâce à la contribution financière du gouvernement du Yukon, de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC) et du Consortium national de formation en santé (CNFS).