Claude Gosselin
Curieuse expression que d’appeler novembre le mois des morts. Leur consacrer ce premier mois d’hibernation et d’enneigement, c’est se redire que malgré le dépouillement de nos hivers intérieurs, leur mémoire survit à leur absence. Puisque la mémoire corporelle a préséance sur celle de nos cerveaux, je nous propose ce mois-ci de nous attabler avec nos morts et partager avec les vivants un mets qui goûte leur présence. Mon amie Diane, décédée en septembre, m’a éveillé à cette réalité. Alors que tous les deux nous partagions le repas de l’eucharistie sur sa petite table d’hôpital, elle m’a surpris en disant avec moi : « Prenez et mangez-en tous, ceci est mon corps livré pour vous, ceci est mon sang versé pour vous. » Soudainement, j’ai eu la certitude qu’elle s’adressait directement à ses enfants, ses petits-enfants, ses amis et amies, à moi… Alors qu’elle avait tout donné de sa vie, elle s’offrait elle-même en nourriture d’amour. Son corps devenait à la fois l’autel et l’hostie manifestant que l’amour lui survivrait dans ceux et celles qui la mangeront autrement, de cœur à cœur.
À quoi alors goûtait Diane? Je ne me souviens pas d’un mets en particulier, car à l’univers culinaire nous privilégiions davantage de partager l’univers culturel. Par contre, ces livres d’écriture qu’elle m’a offerts régulièrement depuis 35 ans me ramènent à sa présence vivante en moi. Diane goûtait le livre d’écriture à reliure cuivrée aux odeurs de peau satinée. Son corps sera dorénavant la page blanche sur laquelle reposeront mes mots.
Nous avons tous un mets ou un autre que nous rattachons à un être cher : le hachis au veau d’une maman, le gâteau aux betteraves de Cécile, le rôti de caribou d’un ami. Que ces personnes soient mortes ou encore vivantes, leurs plats donneront éternellement le goût de leur présence. Notre vie se donne dans et par notre corps. Et plus concrètement, notre mémoire gustative garde un héritage précieux de tous ces êtres que nous rencontrons. À des enfants de 4 et 6 ans à qui on demandait s’ils se rappelaient la saveur du lait de maman, la plus jeune de répondre : « Son lait goûtait maman », et l’autre de préciser, « avec un petit goût de sel »! N’est-ce pas savoureux de se survivre par notre corps donné en nourriture? Pas étonnant que le Christ se soit mis à table!
Que novembre soit l’occasion d’un banquet pour faire mémoire de nos êtres chers, morts ou vivants, en se cuisinant un mets qui nous les imprègne jusqu’au fond de l’âme. Pour consacrer le tout et puisque les départs font partie de notre réalité nordique, Hélène Bélanger propose à notre communauté de publier un livre de recettes rempli de tous ces êtres chers qui marquent nos vies, qu’ils soient déjà partis pour d’autres cieux ou qui, à leur temps, partiront du Yukon vers d’autres lieux. Je la laisse présenter elle-même son projet : « En ce bel automne, une idée m’est venue pour le CFC : créer un livre de recettes d’amour et de bonheur rassemblant des plats des membres de notre communauté, ainsi que de tous ceux et celles qui se sentent appelés à participer. Je lance donc un appel à tous et à toutes à proposer une recette qui vous fait sourire, qui vous rappelle une tante, une maman, qui sait, un plat qui éclaire le visage de vos enfants ou qui vous apporte simplement un peu de bonheur!
« Tout ce que vous avez à faire, c’est de m’envoyer par courriel ([email protected]) la recette avec quelques caractéristiques complémentaires : ce qu’elle signifie pour vous; une photo soit du plat, de vous, de votre famille, de votre chat, ou d’un paysage adoré; et si vous avez le goût, une pensée ou une prière qui se relie à la recette. Si l’inspiration vous manque, on demandera à Claude d’écrire quelque chose.
« Je parle ici de créer un beau livre, pas dull! Un recueil plein de joies à partager et de spiritualité. Nous avons plein d’artistes à qui on peut aussi demander de l’aide. Si certains d’entre vous voulaient se joindre à ce projet par vos talents de graphiste, d’illustrations, d’écriture, dites-le-moi, et cela agrandira notre équipe. C’est un projet à long terme que nous pourrions publier le printemps ou l’automne prochain.
« Pensez-y, un beau cadeau créé par nous, qu’on pourra offrir à ceux et celles qu’on aime et, en même temps, qui permettra d’amasser des fonds pour le CFC. Le tout sera traduit pour pouvoir le partager à plus grande échelle. Au plaisir de vous lire, et de me réjouir de vos suggestions! Hélène Bélanger (633-3314). »
Alors, à table les vivants et les morts!
Cette chronique est présentée par le Comité francophone catholique Saint-Eugène-de-Mazenod. Pour plus d’information sur nos activités : 393-4791 ou [email protected]