Claude Gosselin
Alors que la cohorte des cardinaux à poitrine rouge migre vers la cité éternelle, peut-être que ce serait bon pour toi de faire un détour d’abord par le « Yukon plus grand que nature ». Ici, les colonnes de pierre des cathédrales vaticanes s’inclinent humblement devant la majesté des montagnes millénaires. Ici, la pompe artificielle de processions empourprées de soutanes et de « mâlitude » s’efface devant le cortège des saisons que mère Terre nous dévoile sans réserve et sans condition.
En marchant sur nos lacs endormis sous la neige, tu verras que la froidure de l’hiver ne réussit pas à encastrer leurs courants sous-marins. Comme quoi la vérité ne peut se figer dans les dogmes, à condition que la vie d’aujourd’hui y demeure. Si la pression des glaces persiste, une cassure se produit sur des kilomètres, telle une déchirure cicatrisant la surface blanche. Les forces possessives sont bien obligées d’admettre qu’elles ne pourront enfermer le courant plus chaud de la source résistant au gel. Le grand dégel t’enseignera alors que tous ces murs de glaciale vanité proviennent pourtant de la même eau. Bien humblement, tu devras admettre qu’au-delà de toutes tentatives religieuses de s’approprier Dieu, tout Dieu est dans l’univers comme tout l’univers est en Dieu.
Toi et tes compagnons, n’auriez-vous pas tendance à trop vouloir posséder la source de la vérité et l’enfermer dans des lois frigides et sans vie? Des cicatrices énormes y laissent trop souvent leurs traces dans l’histoire sacrée des personnes. Le pardon sincère s’impose à notre Église d’aujourd’hui, car le triomphalisme d’hier affecte encore les générations de tout un peuple d’ici et d’ailleurs, de la volonté malsaine d’avoir voulu tuer l’indien dans l’homme, ignorer la femme dans l’humanité, castrer la sexualité dans la chair, condamner la nouveauté dans l’histoire. Le pardon s’apprend au Yukon, parfois par la grandeur d’âme, souvent par la nécessaire fraternité devant la fragilité, toujours par la reconnaissance de notre petitesse devant l’infinie beauté. L’harmonie ressentie te convertira toi aussi à la présence de Dieu dans la simplicité des rapports humains et dans l’humilité du silence. Tu deviendras alors, apôtre de cette Présence.
L’été au nord du 60e te rappellera que la lumière du monde s‘est révélée au Christ comme une évidence. L’astre du jour se refusant au repos de la nuit nous ouvre tous nos tombeaux. Ici, la résurrection est un fait qui s’accomplit non seulement à la fin des temps, mais en notre temps. La reconnaissance du soleil de minuit transfigure les plus grandes noirceurs d’hiver en espérance de lumière. La foi d’y croire se vit en Christ, certes, mais la réalité demeure accessible à tous les êtres de bonne volonté de toutes races, langues, religions ou pas.
En tout temps, même le Christ ne peut résister à l’attraction de l’incarnation et fugue régulièrement de nos tabernacles pour se réfugier dans le cri du corbeau, l’antre du grizzli, la harde de caribous, l’agilité de la chèvre de montagne, la remontée du saumon ou la liberté d’un aigle. Les rivières baptisent de vie éternelle le territoire et les gens qui l’habitent bien avant les baptistères. Les murs de nos églises s’élargissent ainsi aux dimensions de l’univers pour la célébration des sacrements de la vie. Ici, tu seras en adoration continuelle et tu apprendras à t’agenouiller non par rituel, mais par extase et émerveillement. Tu découvriras que l’amour de Dieu se reçoit sans condition et que lorsque les mots des sermons divisent, le silence des grands espaces s’impose. Chez nous, la communion des cœurs s’apprend d’abord du haut des sommets pour se partager ensuite autour de l’autel de nos prières ou de nos amitiés. Jésus n’avait-il pas la même méthode?
Devant toutes tes préoccupations morales, motivées trop souvent par le scrupule plutôt que par l’amour inconditionnel, l’aridité de l’automne nordique t’invitera à plus de compassion devant la fragilité et la finitude de la personne humaine. La simple hibernation des vivants ou le dernier crépuscule des mourants t’enseigneront ici que le Christ ne s’impose pas par les commandements, mais qu’il s’accueille comme une parole de vérité, un souffle libérateur, un regard de bonté, une main réconfortante.
Viens nous visiter en ces premiers jours printaniers. Tu verras sur les visages transfigurés du Peuple de Dieu d’ici que l’Église est d’abord faite de chair humaine et non de pierres romaines. Viens découvrir la vie en abondance et la joie parfaite, et tu seras un bon pape pour la terre entière!
Cette chronique est présentée par le Comité francophone catholique Saint-Eugène-de-Mazenod. Pour plus d’information sur toutes nos activités : 393-4791 ou [email protected]