En préparation d’une récente entrevue pour la troisième édition de l’indice pâté chinois de Francopresse, j’ai eu l’occasion de me replonger dans les données de l’inflation alimentaire.
Après deux ans d’inflation anormalement élevée, il est rassurant de constater que le prix des denrées se stabilise. Nous avons tous pu constater combien une hausse des prix de 10 ou 20 % pouvait faire mal au portefeuille.
Mais un danger drôlement plus important qu’une pandémie ou qu’un conflit à l’autre bout du monde menace le prix de nos aliments et même l’offre : les changements climatiques.
Aura-t-on encore du café au déjeuner?
Le café, le chocolat ou le vin, tels qu’on les connait, sont appelés à disparaitre, ou du moins à connaitre des baisses de production tellement fortes qu’ils pourraient devenir hors de prix.
Ce n’est pas un scénario de science-fiction ni une hypothèse pour le XXIIe siècle.
La hausse des températures dans le monde affecte déjà la production des fruits qui servent à fabriquer le café, le vin ou le chocolat, et il faut s’attendre au cours des prochaines années à voir les prix monter à mesure que les récoltes seront affectées.
Quand on parle de changements climatiques, on fait souvent référence à la hausse moyenne des températures. Selon l’ONU, le monde s’est déjà réchauffé de 1,2 °C par rapport à l’ère préindustrielle et il faut limiter le réchauffement à 1,5 °C pour en éviter les pires effets.
Dans la réalité cependant, les changements climatiques n’entrainent pas une hausse égale et continue des températures, mais plutôt une croissance des évènements météorologiques extrêmes. Pensez par exemple aux feux de forêt qui ont dévasté de grandes régions du pays à l’été 2023.
Les sècheresses, les pluies abondantes, les périodes de canicule exceptionnelles… tout cela affecte les plantes que l’on cultive ou les animaux que l’on pêche ou élève.
Normalement, la nature a un moyen de défense efficace contre des transformations radicales de l’environnement : la diversité génétique. Si une variété de café supporte mal la chaleur extrême, elle finira généralement par disparaitre au profit d’une autre qui est plus résistante.
Or, pour maximiser la productivité des cultures, on a eu tendance à faire exactement l’inverse et à miser sur un nombre très limité de cultivars, ce qui accroit notre vulnérabilité aux changements climatiques.
La vaste majorité du café (Arabica), des bananes (Cavendish) et des avocats (Hass) consommés chez nous et aux quatre coins du monde proviennent d’un seul cultivar.
D’ici 2050, la moitié de toutes les terres où pousse le café aujourd’hui sera impropre à sa culture.
Cette transformation n’arrivera pas du jour au lendemain. On peut supposer que le prix augmentera graduellement à mesure que les changements climatiques affecteront les zones de production en Afrique et en Amérique centrale.
Le Canada est-il prêt à faire face à ces changements?
Le Canada, grâce à sa géographie diversifiée, à son vaste territoire et à l’importance de son industrie agroalimentaire, est moins vulnérable que d’autres pays à l’insécurité alimentaire.
Cela n’empêche pas qu’il y aura d’importantes transformations dans nos pratiques agricoles et dans notre assiette au cours des prochaines années. Une partie de ces changements seront dictés par les prix. Il faudra accepter que certains aliments deviennent inabordables.
La variété à laquelle nous avons été habitués pourrait en souffrir. La vaste majorité des fruits et légumes que nous mangeons sont importés des États-Unis et du Mexique, ce qui nous rend vulnérables aux transformations du climat dans ces pays.
Le prix de certains aliments est aussi déterminé par des marchés mondiaux. L’année dernière, le prix du blé a presque doublé sous la pression combinée de la guerre en Ukraine et des conditions météo extrêmes au Canada. C’était vrai chez nous comme ailleurs.
Déjà, après une hausse modeste des prix au cours des dernières années, nos habitudes de consommation se sont transformées. Les épiceries au rabais sont plus populaires que jamais. Un ménage sur dix au Canada dépend des banques alimentaires pour se nourrir convenablement, presque le double d’il y a cinq ans.
À lire aussi : Une année record pour l’insécurité alimentaire
Ce n’est qu’un début. Il faut se préparer à une hausse des prix de certains aliments bien plus importante dans un avenir rapproché.
Je ne suis pas certain que nous soyons prêts en tant que société à ce choc des prix. Nous avons vécu dans un monde où tout était offert dans nos épiceries et dans nos restaurants.
Nous n’avons pas l’habitude de nous plier à des restrictions ni à une régression de nos conditions de vie. Mais à moins d’une transformation radicale de nos modes de vie, il est peu probable que nos assiettes échappent à l’incidence des changements climatiques.
David Dagenais est journaliste économique indépendant et entrepreneur. Auparavant, il a été journaliste à Radio-Canada après avoir terminé des études supérieures en économie politique à l’UQAM et à l’Université d’Ottawa.