« Patience et longueur font plus que force ni que rage », déclarait Jean de la Fontaine.
En cette journée du 11 novembre et dans ces temps de controverse, d’incertitudes et de divisions, cet éditorial devait initialement s’intituler « Force ». Mais voilà, j’en ai manqué, de la force.
Une fois n’est pas coutume, mais j’ai choisi, cette fois, d’abandonner le combat.
Pourtant, il était bien parti cet édito dans lequel je racontais une anecdote où je m’étais frappée au visage en installant une bâche sur mon véhicule de camping. Le coin de la bâche ayant brisé pendant que je tirais de toutes mes forces, l’expérience m’a laissée avec une lèvre en sang et un bleu sur le front, auto-infligés, signes incontestables de ma force insoupçonnée (n’ayant jamais punché personne, je n’avais aucune idée que cette force était en moi!).
Bref, je voulais parler de la force, celle de la Guerre des étoiles ; celle qui nous donne confiance en la vie ; celle qui est en nous et que nous ne connaissons pas. Je voulais mentionner la force qui nous permet d’avancer dans le brouillard ou de sortir des sentiers battus. Celle des soldats canadiens et autochtones qui ont été envoyés en Europe, pour sauver des personnes inconnues.
Je voulais aussi mentionner cette puissance intérieure qui nous pousse à lutter pour sauvegarder nos valeurs, ou à nous insurger contre des gouvernements qui ne font pas assez, comme Greta Thunberg qui d’ores et déjà s’insurge contre l’inaction politique, à l’occasion de la COP 26.
Mais voilà, le mot surrender, qui se traduit assez mal en français, est le meilleur que j’ai pu trouver, finalement, pour rester saine d’esprit.
Arrêter de se battre. Arrêter de lutter et tout simplement s’abandonner au moment présent. Sortir, pour quelques jours, le drapeau blanc.
Saviez-vous que le 11 novembre, journée du Souvenir, avait été en fait précédé de trois autres armistices en Europe? De plus, cette date communément reconnue comme « la fin de la Première Guerre mondiale », n’était en fait qu’un armistice (de arma, arme et statio, état d’immobilité).
C’était donc une suspension provisoire des hostilités, dans le but d’étudier une sortie de la guerre, qui ne devait durer que 33 jours. Cet armistice a été renouvelé, mais la guerre ne s’est terminée officiellement qu’avec une série de traités de Paix, qui se sont succédé à partir de 1919, dont le Traité de Versailles, signé dans la galerie des Glaces du château le 28 juin, soit plus de sept mois après l’armistice.
Patienter. Attendre que tout décante un peu. Observer.
Cesser momentanément la lutte, c’est se donner le temps de mieux comprendre les termes réels de cette emprise de la peur et les conséquences qui en découlent et en découleront. Temporiser, le temps de rependre un peu de forces autant physiques que mentales.
J’espère de tout mon cœur que la longueur de temps nous apportera des jours où les enseignant.e.s ne perdront plus leur emploi pour avoir voulu penser « autrement ». Un monde où des enfants ne rentreront pas en pleurs chez eux face au choix cornélien de consentir, ou voir s’envoler leurs rêves et idéaux, dès l’âge de 12 ans. Un monde où les parents ne devront pas diminuer leurs heures de travail, car leurs enfants n’ont plus accès au service de garde. Où des personnes immigrantes, intelligentes et qualifiées, que des organismes s’étaient donné tant de mal à recruter, pourront retourner visiter leur pays d’origine à leur gré.
Aujourd’hui, au moment d’écrire ces lignes, j’ai foi dans cette citation de La Fontaine, parce qu’il y a des moments dans la vie où la seule force qu’il nous reste est celle de faire un pas devant l’autre et de croire. Faire confiance à la vie, à la la force des autres, aussi, peut-être, tels ces soldats européens qui espéraient les débarquements sur les plages.
Les revendications, les luttes contre les injustices, les violences et les incohérences de discours contre le plastique, les dégâts climatiques, la surconsommation, les trajets non nécessaires et les gaz à effet de serre; tout cela devra patienter. Juste pour quelques jours.
Oui, Greta, la planète ne peut pas patienter. Mais épuisé.e.s, nous n’irons pas plus loin non plus.Merci à cette nouvelle génération qui prend le relais des revendications, ces soldat.e.s d’aujourd’hui. Nos allié.e.s, quand la force nous manque, c’est vous.
Pour certain.e.s en ce moment, relativiser, fermer les yeux, méditer et attendre sont les seules options pour se tenir debout.
Continuons d’observer ce qui, dans le monde, nous donne force et espoir. Dans les pages du journal ou autour de nous. Le sourire d’un enfant, la visite d’un.e ami.e ou le geste anodin d’un.e voisin.e qui nous tend la main dans la noirceur.
Prenons soin les uns des autres. Et surtout, prenez soin de vous.