Le soleil radieux brille sur les boiseries du nouveau Centre-Espoir de l’Armée du Salut. À l’angle de la rue Alexander et de la 4e Avenue, le nouvel édifice baigne si joliment dans la lumière estivale qu’on en oublierait presque la nature de son affligeant dessein. Destiné à remplacer le tas de planches décrépies faisant office d’hébergement d’urgence de l’autre côté de la chaussée, le nouveau Centre-Espoir offrira dès cet automne une gamme de services de soutien et abritera un refuge d’urgence pouvant accueillir 25 personnes, un espace d’accueil temporaire, une grande salle à manger ainsi que 22 logements de transition réservés aux plus démunis de nos concitoyens yukonnais.
Cette nouvelle adresse de référence figurera sans doute aux bonnes pages de la prochaine édition du guide Survivre au Yukon récemment publié par la Coalition anti-pauvreté du Yukon. Malgré un titre aventureux, le lecteur n’y trouvera pourtant point conseil pour construire un feu ou bâtir un igloo. Dans notre petite ville à la réputation pourtant prospère, on a en effet jugé nécessaire de noircir pas moins de 24 pages pour compiler les adresses des services d’hébergement d’urgence et de ces quelques îlots de sécurité où femmes et enfants peuvent se prémunir des humeurs d’un père ou d’un mari violent. On y explique également comment se tenir propre et profiter d’un repas chaud au cœur de l’hiver; on fournit une bonne adresse où se procurer gratuitement un pantalon et une autre où l’on pourra dans une sérénité toute relative tenter de vaincre sa dépendance au crack.
Alors que la petite Whitehorse aime à se présenter comme l’Éden de ces « familles canadiennes qui travaillent fort » si chères à nos élus, il est navrant de constater que près de 1 % de sa population continue de vivre dans la rue ou est à risque d’y échouer (dénombrement ponctuel des sans-abri de Whitehorse réalisé en avril 2016 dans le cadre de la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance). L’histoire canadienne et les dépendances en tout genre ont assurément fait des ravages parmi les 256 itinérants recensés lors du comptage du printemps, et nombreux dans la rue sont les toxicomanes ou les victimes du syndrome d’alcoolisation fœtale. Cela dit, bon nombre d’itinérants se sont également vus contraints de recourir aux services d’urgence simplement par manque de ressource. Preuve en est, la banque alimentaire de Whitehorse n’en finit plus de compter ses nouveaux clients et pas moins d’un tiers de ses usagers sont âgés de moins de 18 ans.
Mais c’est en calculant en juin dernier le montant du salaire minimum vital au territoire que la Coalition anti-pauvreté du Yukon a une nouvelle fois mis le doigt là où ça fait mal. Grassement arrosée par Ottawa, notre petite colonie de peuplement offre en effet un salaire horaire minimum de 11 dollars aux actifs yukonnais, quand bien même le minimum vital se situerait plutôt autour de 19 dollars, selon l’organisme. On parle ici d’un manque à gagner de près de 75 %, dont sont principalement victimes les employés du secteur tertiaire.
Les efforts publics en matière de lutte contre la pauvreté doivent certes passer par la mise en œuvre de services de soutien et d’urgence aux plus démunis, mais nos gouvernants devraient également préparer l’avenir en posant un œil attentif sur les disparités de rémunération entre secteurs public et privé, et se pencher enfin sérieusement sur cette éternelle question irrésolue du logement locatif abordable. Deux pistes parmi tant d’autres que les différents paliers de gouvernement ne se sont vraiment jamais résolus à aborder franchement.