Depuis l’accession au pouvoir des libéraux, un vent nouveau semble souffler sur le Canada, et de cette brise progressiste s’est même échappé un doux parfum de responsabilité sociale. À l’occasion du discours du Trône prononcé le vendredi 4 décembre, le gouvernement a réitéré sa promesse de légaliser et de réglementer la consommation de marijuana.
Ce faisant, le Canada devient de fait le premier pays du G7 à s’attaquer avec détermination à cet enjeu sociétal. À contre-courant de ses camarades occidentaux qui, bon gré mal gré, préfèrent encore le trafic aux évidences, le Canada de Justin Trudeau a su faire preuve d’assez de bon sens pour franchir le cap symbolique de la légalisation. Au nom de la sécurité des citoyens canadiens et de la préservation de la paix intérieure, précise le discours.
Conforté par les résultats d’un sondage estival qui montre que 65 % des Canadiens se déclarent en faveur d’une décriminalisation du cannabis, le premier ministre a également pu s’appuyer sur l’évolution récente de la législation en vigueur au Colorado, en Alaska, en Oregon et dans l’État de Washington. Longtemps neutralisé par la position d’un voisin américain fermement opposé à la légalisation de la marijuana, le Canada peut désormais se couler dans le sillage vertueux de ces quatre états-pilotes. Au Colorado notamment, les revenus générés par ce nouveau marché sont tels que le 16 septembre dernier, l’état a pris la décision exceptionnelle de supprimer le temps d’une journée la taxe perçue sur les ventes de marijuana. Le chef de la police de Denver, pour sa part, confirme que tout se passe pour le mieux. Bien que les expériences de ces juridictions semblent concluantes, le travail se poursuit en vue d’en solidifier certains aspects, afin d’en arriver à un modèle viable et possiblement transposable dans les pays où le débat s’enlise, si tant est qu’il y ait débat.
Au Canada comme à Denver, consommer de la marijuana n’est pas en soi une marque de progressisme. Mais force est de constater que la légalisation et le contrôle de cette drogue douce s’imposaient naturellement au sein de la société canadienne. En dépit de l’interdiction, des herbes aux provenances douteuses se trouvent tout de même partout au pays, et le taux de consommation des jeunes Canadiens atteint des sommets. Le système de justice déborde d’infractions mineures, le crime organisé prospère et s’en vient même désormais décharger ses mitrailleuses au centre-ville de la paisible Whitehorse.
Les éternels adversaires de la légalisation, conservateurs en tête, doivent ainsi comprendre que la légalisation n’est pas un encouragement à une consommation d’herbe débridée. Au contraire, c’est une position responsable qui permettra d’assécher les caisses du crime au profit de l’État. Au-delà des recettes fiscales et des nombreux projets utiles que ces revenus supplémentaires permettront de financer, les consommateurs profiteront par ailleurs d’un produit de qualité sans avoir à frayer avec la pègre au détour d’une ruelle sombre. Les curieux qui jusqu’à alors respectaient la loi de peur de perdre leur droit à voyager, travailler ou étudier, s’essayeront peut-être maintenant à tirer sur une pipe à eau, mais combien seront-ils? Et les adolescents pour qui la fumette représentait un pied de nez aux autorités policières ou parentales, ceux-là perdront peut-être au contraire leur seule raison de consommer.
À l’instar des campagnes de prévention routière ou des actions de lutte contre les ravages de l’alcool, le gouvernement Trudeau devra donc investir du temps et de l’argent dans toute une série de mesures éducatives et préventives. De plus, il devra blinder son texte de loi afin de se protéger des abus et des possibles failles que les trafiquants affaiblis ne tarderaient pas à exploiter.
Vu de l’Europe notamment, où les débats nationaux sur la légalisation du cannabis traînent leurs guêtres depuis de trop nombreuses années, le jeune Trudeau fait donc probablement figure d’ovni. De l’autre côté de l’Atlantique, on s’interroge à juste titre sur les aspirations nouvelles de cet élégant politicien qui a par ailleurs confié s’être laissé tenter par les volutes du chanvre à « cinq ou six » reprises. On appréciera ici l’honnêteté de la démarche et l’équilibre d’une position en complète rupture avec la politique du gouvernement conservateur sortant. Son ancien chef de file, Stephen Harper, est lui resté pendant dix ans farouchement opposé à toute décriminalisation de la marijuana.
La Reine Élisabeth II, pour sa part, ne s’est pas prononcée sur ce thème lors de sa rencontre avec le premier ministre, le mois dernier. Avait-elle en mémoire le plaidoyer de la Reine Élisabeth I en faveur de la culture du chanvre? Se souvenait-elle sinon de la propension de la Reine Victoria d’Angleterre à recourir aux propriétés médicinales du cannabis pour soulager ses crampes menstruelles? Barack Obama, l’homme le plus puissant du monde, a fumé du cannabis, et l’un des pères fondateurs des États-Unis, George Washington, en possédait même des champs entiers. « Tirez le meilleur parti du chanvre indien et plantez-en partout », déclara un jour à ses hommes le premier président américain qui avait reconnu le potentiel de cette plante aux multiples usages.