En matière d’effectif comme de progression, les programmes d’immersion viennent de vivre une grande année. Dans un communiqué publié le 31 août, l’association Canadian Parents for French se félicite que plus de 630 élèves aient choisi de joindre les rangs des écoles d’immersion du Yukon pour y apprendre le français. Une augmentation de l’ordre de 4 % par rapport à l’année 2013-2014, soit la plus importante progression de ces cinq dernières années. L’engouement des jeunes — et de leurs parents — pour la langue de Molière se traduit également par une augmentation, certes infime, du pourcentage de jeunes inscrits en immersion (12,25 % contre 11,70 % l’année passée), mais toutefois remarquable si l’on considère que la dernière hausse de ce type remonte à 2009.
Mais trêve de statistiques flatteuses et d’auto-congratulation. Un nuage noir flotte au loin, menaçant l’expansion et la qualité de ces programmes de français. Le revers de la médaille, selon Canadian Parents for French? Le succès est tel que les enseignants qualifiés ne seraient déjà plus assez nombreux pour rassasier les appétits linguistiques de cette marée d’enfants. Le message s’adresse sans détour aux établissements postsecondaires et aux services d’immigration priés d’agir au plus vite pour résoudre la question. On ne pouvait pas en attendre moins de CPF. Loin de se reposer sur ses lauriers, l’association de parents semble ne pouvoir profiter de ses succès qu’en se lançant dans de nouvelles batailles.
Ainsi exprimées à la veille de la rentrée scolaire, ces revendications peuvent également être interprétées comme une bravade de bon aloi à l’endroit du ministre de l’Éducation. Doug Graham, ce vieux routier de la politique yukonnaise — son premier mandat de député remonte à 1978 — se serait-il ainsi fait sommer par CPF de ne pas oublier d’accompagner la tendance linguistique du moment? Père de deux enfants ayant tous deux étudié le français à l’École F.-H.-Collins, il y a pourtant fort à parier que le ministre en connaît un rayon sur les programmes d’immersion. Ajoutons-y son soutien au programme en 1979 et 28 ans de travail dans le domaine de l’éducation au Collège du Yukon, et l’on se laisserait presque tenter de faire confiance au personnage pour orchestrer l’expansion du français langue seconde.
Seulement, voilà, Doug Graham est également l’homme qui a promis une nouvelle école à la communauté francophone. Et ça, ce n’est pas rien. Loué pour son ouverture d’esprit et sa volonté de progresser par le président sortant de la commission scolaire, Ludovic Gouaillier, le ministre de l’Éducation serait-il donc l’homme providentiel dont rêvait la franco-yukonnie, la bonne pioche du gouvernement Pasloski? Il peut bien s’agir d’une coïncidence, mais avouons-nous bien que les dossiers de l’éducation en français n’ont pas évolué aussi rapidement que depuis sa nomination en janvier dernier. Doug Graham avait alors récupéré ce portefeuille de la vice-première ministre Taylor, qui avait elle-même remplacé Scott Kent à l’Éducation en 2013. La menace d’un nouveau procès probablement perdu d’avance a peut-être poussé le gouvernement à un peu plus de souplesse, mais une tendance s’est tout de même installée qui fleure bon la coopération.
Au chapitre yukonnais de CPF, le ministre Graham a notamment déjà annoncé vouloir recruter de nouveaux professeurs dans le cadre d’un plan d’action s’étendant jusqu’en 2017. Son ministère a par ailleurs travaillé cette année avec l’organisme à assurer l’égalité des chances pour les jeunes candidats à l’immersion. Au stade des inscriptions à l’École élémentaire Whitehorse, une loterie est ainsi venue remplacer le principe du premier arrivé, premier servi, ce qui a notamment permis une évaluation plus précise de la demande et a conduit à l’ouverture d’une première classe d’immersion à l’École Selkirk de Riverdale. Les 23 élèves qui se seraient retrouvés sur la touche l’année dernière pourront ainsi profiter dès cette rentrée de leurs premiers cours en français.
La politique du gouvernement yukonnais en matière de francophonie semble s’être peu à peu assouplie au cours des dernières années, et la franco-yukonnie s’est d’un coup sentie moins seule dans la lutte qu’elle mène pour la reconnaissance de ses droits. Ainsi la communauté posera bientôt la première pierre de sa propre école secondaire, tandis qu’une génération supplémentaire de jeunes anglophones semble bien partie pour grandir avec le français. Le gouvernement du Yukon aurait-il désormais compris son intérêt à s’asseoir avec ses partenaires plutôt qu’à flirter régulièrement avec les bancs des tribunaux? Une étape a certes été franchie, mais la route sera toutefois encore longue avant l’émergence au Yukon d’un bilinguisme véritable et respecté. Selon les chiffres du dernier recensement de 2011, 13 % de la population affirmait pouvoir parler français, et moins de 5 % des Yukonnais avaient le français comme langue maternelle.