Fin juin à Whitehorse, le ministre de l’Emploi et du Développement social, Pierre Poilievre, et le député du Yukon, Ryan Leef, ont annoncé un renforcement de l’aide aux familles canadiennes. Par l’entremise du programme de Prestation universelle pour la garde d’enfants (PUGE), chaque famille touchera désormais une allocation mensuelle de 160 $ pour chacun de leurs enfants de moins de 6 ans. À cette bonification s’ajoute par ailleurs un nouveau montant mensuel de 60 $ pour chaque enfant âgé de plus de 6 ans et de moins de 18 ans.
Rappelons que la Prestation universelle pour la garde d’enfants a été mise sur pied en 2006 pour aider les parents à payer les frais de garderie. Initialement fixé à 100 $, le montant de la prestation n’avait jamais été révisé depuis la création de ce programme auquel 200 000 foyers canadiens et 800 familles yukonnaises n’ont pas encore adhéré.
Au regard du caractère populaire et consensuel de la mesure, tout porte à croire que Stephen Harper n’avait pas attendu dimanche pour siffler le coup d’envoi de la campagne conservatrice. Missionnés pour répandre la bonne nouvelle aux quatre coins du pays, les porte-parole conservateurs persistent pourtant à se draper dans des arguments vaporeux censés enrayer tout soupçon d’électoralisme. Lors de la conférence de presse donnée à Whitehorse, Ryan Leef s’est ainsi lancé dans l’idée de convaincre le citoyen que cet acte charitable en direction des « familles qui travaillent fort » n’était dû à rien d’autre qu’à une gestion exemplaire et équilibrée du budget national.
Notre député désormais autoproclamé héraut de la classe ouvrière, Pierre Poilievre a lui choisi de se glisser dans la peau du père Noël. Le 19 juillet sur Twitter, le ministre s’est fait l’auteur d’une espièglerie toute familiale, racontant à qui voulait bien le croire qu’il ne restait « qu’un seul dodo avant Noël en juillet pour les mamans et les papas ». Un clin d’œil aux familles inscrites au programme qui ont commencé à recevoir leur chèque le 20 juillet, soit une belle somme d’en moyenne 500 $ par famille. La mesure étant rétroactive au 1er janvier, les relevés de banque des ménages canadiens auront ainsi fière allure cet été. De quoi donner du baume au cœur à la classe moyenne ainsi qu’aux foyers les plus modestes. De quoi également titiller leur conscience politique, et à trois mois jour pour jour des prochaines élections fédérales, leurs intentions de vote.
La plaisanterie était donc bien partie pour durer, mais le jour de Noël en juillet, en conférence de presse à Halifax, Pierre Poilievre a tout gâché sur une simple faute de style. Alors que les photographes s’apprêtaient à mitrailler un gros bonhomme jovial et barbu, le ministre n’avait pas su tirer mieux de sa garde-robe qu’un chandail aux couleurs du Parti conservateur. Un élan d’enthousiasme sûrement mal calculé qui n’a pas manqué de susciter l’ire des partis d’opposition, ceux-ci ne tardant pas à crier à la récupération de l’annonce à des fins électorales et à invoquer la violation des règles non partisanes édictées par le Conseil du Trésor.
Ainsi frustrée par la manœuvre, l’opposition n’a pas eu d’autre choix que de se lancer à son tour dans la course aux annonces. Par la voix de Justin « Robin des bois » Trudeau, les libéraux ont annoncé vouloir redistribuer les montants de la prestation aux foyers les plus modestes, affirmant par ailleurs que leur plan de prestation pour les enfants inclurait un montant mensuel plus élevé, mais aussi exempt d’impôt pour ces mêmes familles. L’opposition officielle néo-démocrate a pour sa part annoncé vouloir conserver la mesure des conservateurs, mais en annuler l’imposition. Le programme du NDP proposerait en parallèle un plafonnement des frais de garderie à 15 $/jour.
Si les partis de l’opposition se rejoignent effectivement sur la question de l’imposition des montants versés dans le cadre de la PUGE, c’est que l’enjeu n’est pas anodin. À l’heure de remplir leurs déclarations de revenus, cette disposition pourrait même se révéler une bien mauvaise surprise pour le budget des familles.
À titre d’exemple, dans le cadre de l’élargissement de la mesure aux enfants de moins de 18 ans, une famille avec un jeune de 15 ans aura droit à un montant annuel de 720 $, soit 60 $ par mois. Si elle est imposée à hauteur de 20 %, elle devra reverser la somme de 144 $. Sachant que la PUGE bonifiée remplacera désormais le traditionnel crédit d’impôt pour enfant, les ménages ne pourront par ailleurs plus bénéficier de l’allègement fiscal fédéral d’environ 338 $ qui y était rattaché. Au Yukon, où existait depuis 2007 l’équivalent territorial de ce crédit d’impôt, exit également l’allègement fiscal. Ryan Leef n’en a pipé mot, mais sur ces 720 $ tombés du ciel, quelques pièces seulement resteront donc au final dans la poche des familles.
Si les gestionnaires les plus avisés sauront facilement surmonter le tour de passe-passe, le mirage de ces dollars tombés du ciel pourrait se transformer en cadeau empoisonné pour les foyers les moins économes. Le 19 octobre, dans le secret des isoloirs, osons ainsi espérer que les Canadiens sauront faire preuve de lucidité au moment de glisser leur bulletin de vote dans l’urne.