le Jeudi 5 décembre 2024
le Vendredi 12 juin 2015 10:33 Éditorial

Première étape avant la réconciliation

Le 2 juin, la Commission de vérité et réconciliation du Canada a remis un rapport des plus attendus. Un peu partout au pays, des gens des Premières nations (mais pas seulement) étaient rivés devant leur téléviseur pour voir ce qui ressortirait de cet exercice lancé il y a quelques années. À Whitehorse, plusieurs personnes s’étaient réunies au Centre culturel des Kwanlin Dün.

Ce qui en ressort : que les pensionnats amérindiens étaient au cœur d’une stratégie qui relève du génocide culturel. Rappelons les faits : de la fin du 19e siècle jusqu’à 1996, plus de 150 000 enfants autochtones ont été placés dans des pensionnats, souvent dirigés par des communautés religieuses. Ces enfants ont littéralement été arrachés à leur famille afin de tuer l’Indien en eux. On croyait qu’en les soustrayant à l’influence de leur communauté, on en ferait de bons petits Canadiens.

Changeons de sujet un instant. En 1839, le rapport Durham proposait l’assimilation des Canadiens français… dans le propre intérêt de ce peuple sans histoire et sans culture (je paraphrase ici, mais ce n’est pas si loin de la réalité historique). Il suggère ainsi de réunir le Haut-Canada et le Bas-Canada pour former une seule colonie qui serait majoritairement anglophone. Ensuite, il recommande de mettre l’accent sur l’immigration britannique pour noyer la population francophone dans un flot d’Anglais. Le but est de faire des francophones de bons citoyens. Je me souviens que ça m’avait horrifié d’apprendre cette histoire au secondaire. Mais au moins, Lord Durham prévoyait faire cette assimilation d’une façon pacifique et étendue dans le temps. Avec les pensionnats, on a tenté une technique similaire, mais sur une période beaucoup plus restreinte et d’une façon beaucoup plus agressive.

Comme si cette purge pour tuer l’Indien à même sa jeunesse n’était pas assez horrible en soi, on note plusieurs cas où les pensionnaires ont été victimes de sévices, quand ils ne trouvaient pas tout simplement la mort à cause des conditions sanitaires déficientes. Il y a assez d’histoires d’horreur pour détruire non seulement des individus, mais aussi des communautés sur plusieurs générations.

À la lumière de ces faits troublants et pourtant encore trop peu connus, il est essentiel de reconstruire des ponts entre les communautés pour pouvoir avancer et passer à autre chose. Pour arrêter d’être des étrangers (les francophones, les anglophones, les Premières nations) qui partagent le même territoire. En ce sens, une structure de justice réparatrice comme Vérité et réconciliation me semble tout à fait appropriée. Au lieu de mettre l’accent sur le crime et sur la peine appropriée comme dans la justice traditionnelle, on travaille ici avec le préjudice en cherchant comment obtenir réparation en travaillant de concert avec la victime et l’agresseur. Et la première étape est bien sûr de reconnaître les torts. De ce côté, j’ai un malaise avec la réaction du premier ministre Stephen Harper qui refuse de parler de génocide culturel, et préfère appeler cela une assimilation forcée. C’est complètement contre-productif à ce stade de l’opération d’essayer de jouer avec les mots, et cela m’inquiète sur la volonté du gouvernement fédéral de vraiment créer des ponts avec les Premières nations.

Mais bon, peu importe le choix de mots, il est essentiel non seulement de reconnaître ce qui s’est produit, mais de s’assurer que tous le savent pour que plus jamais ça ne se reproduise. Il faut s’assurer que l’on en discute en classe dans les cours d’histoire et que personne ne le nie. D’ailleurs, l’aspect éducation fait partie des 94 recommandations qui visent à rebâtir la relation entre les peuples autochtones et le reste de la société canadienne.

Après la phase de vérité, il y a celle, tout aussi importante, de la réconciliation. Il faut s’assurer de mettre en place un cadre pour diminuer le racisme et pour établir des relations respectueuses entre les peuples. Au Yukon, la situation est loin d’être parfaite, mais on part de tellement loin dans l’Est avec le systèmes de réserves. Ici, mes fils ont des amis qui sont membres des Premières nations. Ils jouent au soccer dans la même équipe, fréquentent la même école. Avant chaque allocution du gouvernement, il y a un rappel pour dire que nous sommes sur les terres de telle ou telle nation, il y a une reconnaissance des gouvernements des Premières nations (même si celle-ci est bafouée dans certaines négociations). Mon expérience du Québec, c’est que l’on vit dans des mondes parallèles et tout est en place pour qu’on demeure d’éternels étrangers. Même à Sept-Îles où on trouve de nombreux Innus, ceux-ci ont leur école qui n’est pas la même que celle du reste de la population, ils ont leur centre commercial, ils vivent dans des quartiers différents. Quand les deux peuples se croisent, on sent de la méfiance et c’est normal, ils ne se connaissent pas.

La remise du rapport de la Commission de vérité et réconciliation peut devenir un grand moment dans l’histoire du pays s’il n’est pas mis de côté et oublié. On entrevoit une ouverture qui permettrait d’aller au-delà du malaise de la population canadienne concernant la question amérindienne. Parce que même si on n’en parle pas trop et qu’on essaie de ne pas y penser, on sait tous que l’histoire de ce continent s’est écrite dans le sang des peuples des Premières nations d’un océan à l’autre, du nord au sud.

À différents moments de l’histoire (même dans des épisodes plus récents comme l’histoire des pensionnats), il y a eu des tentatives délibérées pour leur retirer leurs droits, pour détruire leur culture pour mettre fin à leur mode de vie. Aux États-Unis, l’histoire a été encore plus sanglante avec les massacres de masse. Quand on ne les tuait pas, on tuait le bison qui était leur source d’approvisionnement principal pour les contraindre à vivre dans les réserves. Ici, ce fut fait de façon détournée, plus insidieuse. Mais on a tout fait pour en faire de « bons Canadiens ». Pour atteindre cet objectif, on a détruit leurs structures, on a tenté d’éradiquer leur langue, de les couper de leurs racines, de les déporter pour qu’ils perdent leurs repères, de briser leur institution… La dernière fois que j’ai lu sur le sujet, cela revenait pas mal à la définition d’un génocide culturel.

Cela dit, on ne peut pas retourner en arrière pour réparer le passé. Alors il faut regarder en avant et s’assurer de tisser des liens avec le peuple sur des bases solides pour que les Premières nations ne soient plus vues comme des citoyens de deuxième zone.