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le Mercredi 27 mai 2015 10:24 Éditorial

Un réveil brutal

Pierre-Luc Lafrance

La décision rendue par la Cour suprême le 14 mai a été accueillie avec stupeur par la communauté francophone du Yukon. Je ne rentrerai pas dans les détails de ce jugement ici puisqu’on en parle abondamment dans cette édition, je veux toutefois discuter de certaines de mes impressions.

Avec cette décision, tout le monde reprend à la case départ. Sauf qu’entre-temps, on a perdu des années et des sommes d’argent colossales. Car les millions investis de part et d’autre en frais juridiques ne seront jamais retrouvés. Ça, non, il n’y a pas de recours contre ça. Je n’étais pas présent au moment du procès, alors je ne peux me prononcer sur le juge Ouellet et sur sa partialité ou non. Ce que je sais toutefois, c’est que c’est un coup terrible pour la communauté de voir qu’une question procédurale efface tout le fond juridique de cette affaire. Ça me fait penser au droit criminel où il arrive que pour une question de vice de procédure, un individu coupable soit relâché puisque la preuve n’est pas recevable. Sauf qu’ici, c’est encore pire puisque la Commission scolaire n’a rien à voir avec le problème procédural.

Cela dit, bien que la décision soit décevante, elle n’est malheureusement pas si surprenante que ça. La seule (petite) victoire qu’on peut en tirer, c’est que les juges de la Cour suprême ont bien pris la peine d’expliquer que l’adhésion du juge Ouellet dans des causes francophones n’a rien à voir avec leur jugement. Cela ne change rien dans l’immédiat, mais cela va au moins permettre d’éviter d’autres cas d’appels d’un jugement rendu par un juge francophone dans des causes touchant la question linguistique.

L’article 23

L’autre point important de ce jugement, c’est la question de l’interprétation de l’article 23. Partout au Canada, c’est ce point qui retenait l’attention dans ce procès. Benoît Pelletier, dans Le Droit du 21 mai, va même jusqu’à dire : « Au cœur du litige se trouvait le droit de la Commission de décider unilatéralement d’admettre à son école des enfants qui n’y sont pas admissibles en vertu de l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. » Alors que dans les faits, ici, ce n’est pas au cœur du litige. Les étudiants qui ne remplissent pas les conditions énoncées par l’article 23 sont une minorité au Yukon. Mais oui, en effet, à l’échelle canadienne, c’est un point essentiel. Toutefois, comme ce n’était pas un des points forts de l’argumentation au Yukon, ce fut facile pour la Cour suprême de prendre position pour le gouvernement. Et, même là, l’énoncé n’est pas si clair selon certaines personnes beaucoup plus versées que moi dans les subtilités juridiques. Je laisserai les spécialistes en débat
tre. Pour l’instant, l’essentiel reste le même : il faut reprendre les négociations avec le gouvernement et, peut-être, relancer la machine juridique à zéro.

Changements à la tête de la CSFY

Pour amorcer cette nouvelle croisade, la Commission scolaire francophone du Yukon devra se trouver un nouveau porte-parole puisque Ludovic Gouaillier a annoncé à la rencontre publique du 21 mai qu’il ne sera pas de retour. Et, pour être sûr que le nouveau président ne s’ennuie pas, il y a la question des élèves du secondaire. Oui, il y a une entente avec le ministère à ce sujet. On parle même d’une ouverture à l’automne 2017. Mais il s’agit d’une estimation qui, bien que possible, est très optimiste. En se basant sur ce qui s’est passé à F.-H.-Collins, 2019 serait plus réaliste. Pour le moment, on ne trouve aucune somme dédiée à la construction de l’école dans les budgets du gouvernement, et il y a tout un processus administratif à passer. D’ici là, que va-t-on faire avec les étudiants actuels de l’Académie Parhélie? Les parents, avec raison, sont inquiets de la situation et il faudra rapidement arriver avec des solutions pour éviter de faire l’ouverture officielle de la nouvelle école avec des classes presque vides.

Réaction au rapport Houle

Le 21 mai, le Québec et l’Ontario ont dévoilé un rapport produit à leur demande par le consultant expert Michel Houde sur le financement de Radio-Canada. Ce rapport qui risque de faire couler beaucoup d’encre à la grandeur du pays dresse un portrait du contexte dans lequel évolue actuellement la Société Radio-Canada. Il propose aussi des pistes de solution qui permettraient au radiodiffuseur public de remplir pleinement son mandat auprès des communautés francophones et acadienne. En fait, on a droit à cinq pistes de solution pour accroître le financement de la société d’État.

Avec toutes les coupes annoncées par Radio-Canada depuis plusieurs mois et années, on se doutait bien que Radio-Canada ne faisait pas partie des priorités du gouvernement fédéral. Le rapport Houle vient mettre des chiffres et des faits sur ces impressions. De 1990 à 2014, les crédits d’impôt de Radio-Canada ont augmenté de 0,5 %, tandis que l’indice des prix à la consommation (IPC) croissait de 51 %, et les dépenses du gouvernement, de 74 %. Bien que la croissance des revenus, dont les revenus publicitaires réalisés par la Société, ait été de 18 % entre 2005 et 2014, soit le double de la croissance de l’IPC sur la même période, celle-ci ne permet pas de compenser la diminution des crédits parlementaires. Bref, Radio-Canada n’a jamais été aussi performante pour créer de nouveaux revenus, mais les coupes brutales dont est victime la société d’État l’empêchent de remplir pleinement son mandat.

Le mandat de Radio-Canada est de rendre compte de la diversité régionale du pays et répondre aux besoins particuliers des communautés francophones et acadienne du Canada. Sauf que pour le faire correctement, cela demande de l’argent et ce n’est pas en coupant sans cesse dans les budgets alloués à la société d’État que ce mandat pourra être accompli efficacement. Et, encore une fois, ce sont les francophones hors Québec qui vont en payer le prix puisque dans bien des cas, Radio-Canada est leur seul lien avec une information de qualité dans leur langue.

De l’espoir

Le point positif, c’est de voir que le Québec et l’Ontario ont travaillé de concert sur la question de la francophonie canadienne depuis octobre dernier. Le 21 novembre, les deux gouvernements signaient aussi une déclaration portant sur la francophonie canadienne, dans laquelle ils désignaient Radio-Canada comme l’un des enjeux déterminants pour la pérennité du fait français au Canada.

Et bon, puisque j’ai envie d’être optimiste ce matin, on peut se dire que le moment de sortir ce rapport est excellent puisque des élections fédérales se préparent, alors pourquoi ne pas en faire un sujet de débat politique? Avec un peu de chance, peut-être qu’un ou plusieurs partis pourront reprendre ces suggestions à leur compte…