Pierre-Luc Lafrance
Entre Noël et le jour de l’An, j’ai passé quelques jours au bureau pour préparer ce numéro de l’Aurore boréale. En faisant un retour sur la dernière année, je me suis rendu compte qu’il y a un sujet qui a refait surface tout au long de l’année : le développement du territoire du bassin de la rivière Peel. Entre le rapport du comité consultatif sur ce dossier et le plan d’aménagement lancé en début d’année, la zone protégée est passée de 80 % du territoire à 29 %, ce qui a fait grincer bien des dents. Des courses de Caribou Legs aux manifestants et aux pétitions, en passant par le jugement rendu au début décembre, ce sujet a fait vibrer le Yukon pendant toute l’année.
Je pensais bien que ce chapitre de l’histoire yukonnaise était clos avec la décision du juge Veal. Celle-ci donnait raison aux plaignants, et soulignait que le gouvernement n’avait pas respecté la façon de faire dans ce dossier en ne consultant pas des communautés concernées avant de mettre en place son plan de développement qui comportait plusieurs différences majeures avec les recommandations de la commission chargée d’étudier ce dossier. Résultat, le gouvernement devait refaire ses devoirs et recommencer le processus de consultations avant d’arriver à un nouveau plan de développement.
Mais voilà, coup de théâtre : le 30 décembre, alors que je m’apprête à revenir à la maison, je reçois un communiqué de presse qui stipule que le gouvernement territorial va aller en appel de cette décision. Il semble donc que Caribou Legs pourra reprendre la route et que les manifestants pourront ressortir leurs pancartes. Si le synchronisme peut sembler pour le moins particulier, mentionnons toutefois à la décharge des élus qu’il ne leur restait que trois jours pour prendre la décision de porter la cause en appel. On peut y voir une décision délibérée de sortir l’information alors que tout le monde est en vacances. De mon côté, je suis prêt à donner le bénéfice du doute sur celle-là.
Raison donnée dans le document pour aller plus avant dans les démarches juridiques? « Le gouvernement du Yukon demande des éclaircissements, à savoir si, à titre de gouvernement élu démocratiquement, il possède toujours le pouvoir de prendre des décisions définitives en ce qui a trait aux terres publiques. Comme il a plusieurs autres plans d’aménagement à mettre en œuvre, il s’inquiète des répercussions que cette décision peut avoir sur le processus de planification régionale de l’utilisation des terres dans le territoire, ainsi que sur l’avenir de l’économie du Yukon. »
En effet, il y a d’autres projets de plans dans les cartons, à commencer par le plan d’aménagement à Dawson qui est sur la glace en attendant que des solutions soient trouvées dans le dossier du bassin de la rivière Peel. De ce point de vue, la décision d’en appeler peut se justifier. Là où ça devient plus compliqué de le faire, c’est quand on constate l’entêtement du gouvernement à vouloir aller de l’avant dans ce dossier au mépris de l’opinion exprimée maintes fois par la population. Oui, le gouvernement a un devoir de prendre des décisions dans l’intérêt général, mais jusqu’à preuve du contraire, les élus sont là pour représenter le peuple. Si leurs raisons de passer d’un territoire protégé à 80 % à seulement 29 % sont si bonnes, il faut les expliquer, amener la population à comprendre, pas leur enfoncer dans la gorge. À quoi ça sert de consulter si les opinions ne sont pas prises en compte?
L’autre point qui me dérange dans cette histoire, c’est le recours systématique à l’appareil judiciaire qui semble être la règle plus que l’exception au territoire. Est-ce une culture territoriale que j’ignore? Une volonté de ce gouvernement? Je l’ignore, mais je trouve lourd en tant qu’observateur de l’actualité territoriale de voir qu’il semble impossible d’en venir à un accord de bonne foi.
Il y a une ironie aussi de voir le premier ministre yukonnais faire une sortie publique lorsque le ministre Bernard Valcourt soutient que les Premières nations ne sont pas de véritables gouvernements, alors que de son côté, il ne respecte pas l’accord Umbrella Final Agreement signé par le Yukon et les Premières nations du territoire en 1993.
J’espère qu’une solution sera trouvée dans ce dossier afin que le jour de la marmotte ne se répète pas en 2015. Après tout, cela fait plus de dix ans que ce projet est sur la table, soit depuis la mise en place du comité consultatif en octobre 2004. Il serait temps de passer à autre chose. Espérons au moins que cela permettra aux autres plans d’aménagement du territoire de se mettre en place de façon plus harmonieuse. Mais bon, ce souhait relève peut-être plus du vœu pieux.
En attendant, je vous souhaite, chers lecteurs et chères lectrices, une année en santé, pour profiter des bonheurs de la vie auprès des vôtres. Le reste viendra par la suite.