Pierre-Luc Lafrance
Tout va pour le mieux, Madame la marquise.
Bah! Si on veut chercher, il y a bien l’État islamiste qui vient de lancer un nouveau sport, la décapitation des journalistes. Mais bon, je ne suis pas journaliste en zone critique, alors je n’ai pas à m’inquiéter.
Si on veut chercher la petite bête, il y a effectivement quelques illuminés de Boko Haram qui enlèvent des femmes et des fillettes. Toutefois le Nigéria, c’est loin.
Le sort de la Crimée se décide dans la violence et le sang – on parle quand même de plus de 3 600 personnes tuées depuis le début du conflit. Cependant, comme je ne suis pas Ukrainien et encore moins Russe, ça demeure abstrait.
Il y a les conflits armés au Moyen-Orient, à Israël. Par contre, ça fait si longtemps que ça dure qu’on en arrive à croire que c’est la reprise d’un vieux film passé en après-midi de semaine à la télévision généraliste.
Les journaux en parlent (parfois), le journal télévisé nous montre des images (en fin de bulletin), mais tout cela demeure abstrait. C’est ailleurs. On termine l’article, on s’indigne, puis on tourne la page et on passe à autre chose.
Et il y a l’Ebola. Tant que ça ne touchait que l’Afrique (Sierra Leone, Guinée, Liberia, Nigeria, Sénégal), on pouvait s’en détacher comme de tous les autres drames qui se jouent en ce moment. On parle de 3 439 morts (sur 7 478 cas recensés) à ce jour et le compteur continue à un rythme tel que ce nombre aura encore augmenté entre le moment d’écrire cet éditorial et celui où vous allez le suivre. Mais là, la maladie se serait transportée chez nous. Chez nous, c’est peut-être un peu fort, mais on parle quand même de l’Amérique. Il y a un cas documenté au Texas – sans parler des dix personnes à haut risque (et d’une autre quarantaine de personnes présentant un risque faible à modéré) qui auraient été en contact avec lui. À Toronto, un patient a subi des tests pour voir s’il souffrait du virus.
C’est fou comment la proximité géographique des drames influe sur la vision que les gens en ont. Depuis l’annonce de l’arrivée d’Ebola chez nos voisins du Sud, j’entends de plus en plus de gens tenir des discours catastrophiques. On se croirait presque dans un épisode de Walking Dead, les zombis en moins (et encore, pour certains, on y est presque).
Mais attention avant de paniquer. Même si on risque d’avoir droit à une campagne de peur (H1N1, quelqu’un), nous ne sommes pas plus en danger que nous l’étions hier avec les maladies, les virus et les autres cochonneries que nous avons déjà chez nous.
Oui, il y a des inquiétudes. Le gars au Texas n’a pas été mis en quarantaine dès le début de sa période dite contagieuse. Ce n’est que deux jours plus tard, le 26 septembre qu’on l’a isolé. D’où le fait que le Centre de contrôle des maladies a dû retrouver les gens qui ont été en contact avec lui.
Par contre, on ne peut prendre les chiffres africains – alors que le virus est létal dans des proportions de 70 % dans certaines régions – et les transposer chez nous. D’abord, nous profitons de meilleures infrastructures médicales, ce qui permet d’isoler les malades. Il y a aussi la lenteur de la réaction de la communauté internationale qui a permis au virus de se répandre avant que des solutions soient mises en place.
Les contrecoups de cette crise n’ont pas fini de se faire sentir. On dit que la lutte contre ce virus a détourné le budget pour contrer la malaria dans ces pays africains, alors que la malaria a tué plus de 6 000 personnes l’an dernier en Guinée, en Sierra Leone et au Libéria.
Cela dit, le virus n’a pas fini de faire parler. Les projections parlent de 20 000 cas possibles d’ici la fin de l’année. Pourtant, ce qui fera réagir sera la centaine d’Américains et de Canadiens qui vont contracter le virus. Et la plupart des gens vont s’inquiéter davantage de la blessure d’un joueur de hockey ou du prochain spectacle de leur groupe favori…
En même temps, on ne peut pas s’indigner de tout ce qui peut nous choquer (et Dieu sait qu’il y en a) ou s’inquiéter pour tous les malheurs et les catastrophes qui frappent notre planète (entre autres les questions écologiques). Alors, on poursuit notre route sans trop se poser de questions.
Et tout va pour le mieux, Madame la marquise.