Pierre-Luc Lafrance
Le 9 septembre, devant les intervenants et dirigeants communautaires de Winnipeg, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada Chris Alexander a discuté des moyens que le gouvernement pourrait prendre pour accroître l’immigration francophone du Canada.
Il a pris l’engagement de lancer dans les prochains mois des consultations pour augmenter le nombre d’immigrants qui viendrait s’établir dans les communautés francophones hors Québec pour en renforcer la vitalité et le dynamisme. « Notre gouvernement est fier de favoriser l’immigration francophone du Canada afin de renforcer le dynamisme et la prospérité de nos communautés. Nous continuerons à travailler avec nos partenaires afin d’attirer des immigrants d’expression française qui possèdent les compétences dont notre marché du travail et notre économie ont besoin », a affirmé le ministre.
Dans la foulée, la présidente de la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA) du Canada a partagé son enthousiasme tout en rappelant qu’il y a encore beaucoup de travail à faire. « Cependant, nous sommes encore loin des cibles que le gouvernement du Canada et les communautés se sont fixées ensemble en matière d’immigration francophone », a-t-elle dit par voie de communiqué. Elle ajoutait que l’organisme et ses membres travailleraient avec grand plaisir avec Citoyenneté et Immigration Canada dans le cadre de ces consultations.
Quand les actes ne suivent pas les paroles
Le problème, c’est que les belles paroles de M. Alexander n’ont pas été suivies de gestes concrets. Vous me direz qu’en une semaine ou deux, c’est difficile de mettre des choses en place. Je suis d’accord. Pourtant, ça n’a pas empêché le gouvernement Harper de mettre la hache dans un programme justement destiné à attirer plus d’immigrants francophones.
En effet, trois jours après les déclarations à Winnipeg, le gouvernement fédéral a annoncé l’abolition du programme « Avantage significatif francophone » dès le 30 septembre. La Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA) du Canada y voit un recul majeur… et avec raison. Ce programme visait à appuyer les communautés francophones en situation minoritaire pour attirer des immigrants francophones qualifiés en simplifiant le processus d’embauche. Pour les employeurs, cela permettait de réduire les délais administratifs (entre autres, en leur offrant la possibilité d’une exemption de l’étude d’impact sur le marché du travail). Pour les communautés, c’était un outil de premier plan pour l’atteinte de résultats tangibles en matière d’immigration francophone, une façon de contrer l’assimilation d’une partie des francophones vivant en milieu minoritaire en amenant du sang neuf.
Cette décision est intervenue sans consultation avec les communautés francophones en situation minoritaire. Pour cette raison, la FCFA a annoncé qu’elle comptait déposer une plainte au commissaire aux langues officielles.
Chris Alexander se défend en disant que le fédéral va promouvoir l’immigration francophone grâce à d’autres programmes. On annonce pour janvier 2015 la mise en place d’un nouveau programme « Entrée Express » qui comporterait des mesures spécifiques d’appui à l’immigration francophone. Mais par voie de communiqué, la FCFA affirme détenir des informations comme quoi ce ne sera pas le cas. Dans la foulée, l’organisme rappelle que le gouvernement fédéral a coupé en 2012 l’enveloppe financière qui permettait aux communautés de participer au forum emploi Destination Canada qui a lieu chaque année en France et en Belgique.
Cette décision s’inscrivait dans une logique de révision des différents programmes pour s’assurer que les Canadiens sont favorisés quand vient le temps d’engager un nouvel employé. En ce sens, le programme « Avantage significatif francophone » ouvrirait la porte à des abus dans la sélection d’employés étrangers au détriment des bons Canadiens.
Il n’est pas impossible qu’effectivement de nouveaux programmes voient le jour pour favoriser l’immigration francophone. Mais entre-temps, les communautés manquent d’appuis concrets dans leur effort pour attirer des immigrants qui s’expriment en français.
Après l’élection de Stephen Harper au poste de premier ministre, la plupart des gens, qu’ils soient d’accord ou pas avec ses décisions, s’entendaient sur le fait que ce que faisait le gouvernement fédéral était cohérent avec ce qu’il disait. En soi, c’était une bouffée d’air frais après les dernières années du gouvernement libéral marquées par les scandales.
Mais depuis quelques années, la situation se dégrade. Non seulement la communication avec les citoyens est de moins en moins transparente, mais on subit de plus en plus de situations comme celle-là : le gouvernement annonce quelque chose, pour faire l’inverse quelques mois plus tard. Dans le cas présent, on parle de trois petits jours. C’est à n’y rien comprendre.
Est-ce l’usure du pouvoir comme les commentateurs politiques aiment l’appeler? Est-ce signe que les citoyens doivent trouver des façons de se faire entendre?