Laurie Trottier
Un silence complet règne dans le bar, si ce n’est que le bruit des chuchotements, du cliquetis des verres et du grincement de quelques chaises. Aucun téléphone ne traîne sur les tables, et personne ne fait la file ou ne parle fort. Il est 19 h, un mardi, et vous êtes à la brasserie Polarity.
Depuis plus d’un an, les soirées trivia au bar Polarity, au centre-ville de Whitehorse, ont la cote. Les trivia sont des événements de jeux-questionnaires, durant lesquels des équipes, composées de deux à six personnes, sont invitées à répondre à une variété de questions, sur une variété de sujets. On récolte des points pour chaque bonne réponse et les équipes ayant le plus de points remportent prix et consommations. Facile? Pas si vite.
Quelle est la longueur du plus grand diamètre d’un flocon de neige jamais enregistré, trouvé dans le Montana en 1887? Quel pays a perdu contre le Vietnam dans la bataille de Diên Biên Phu, en 1954? Comment s’appelle le bonhomme de neige dans les films de La Reine des neiges? En 2016, un ordinateur a battu 5 à 0 le joueur professionnel et champion d’Europe Fan Hui, une première dans l’histoire. De quel jeu s’agit-il?
Vous devinez au moins une chose : pour faire ses premiers pas dans le monde des trivia, il faut parfois laisser son ego et son humilité derrière la porte.
La gérante de Polarity, Evelyne Martel, ne s’attendait pas à un tel engouement lorsque les jeux-questionnaires du mardi ont débuté en octobre 2020. « On se disait l’an passé qu’il y avait plusieurs soirées tranquilles, surtout à cause de la pandémie. On s’est demandé ce qu’on pouvait faire pour attirer des gens », explique-t-elle.
Depuis, les jeux-questionnaires font salle comble la plupart du temps. Elle affirme que le personnel aime beaucoup travailler les mardis soirs, tant l’énergie et l’ambiance sont plaisantes. Ces jeux ratissent large et attirent des gens du début de la vingtaine à la cinquantaine.
« C’est une de nos plus grosses soirées, mais pas nécessairement la plus grosse de la semaine », nuance la gérante, en expliquant que ceux et celles qui prennent place pour le jeu-questionnaire ne sont pas nécessairement susceptibles de commander plusieurs consommations.
« Mais je pense qu’on est assez chanceux d’avoir une clientèle qui est curieuse, que ce soit pour les jeux-questionnaires, mais aussi pour les bières à saveur atypique ou le menu », énumère-t-elle. Celle-ci est impressionnée des connaissances du public et du travail des deux animatrices.
Aussi sérieux…
Le 30 novembre, Karmen est arrivé à 16 h, même si le jeu-questionnaire ne débute seulement qu’à 19 h. « On ne peut pas réserver de table et si c’est complet, on ne peut pas participer », m’explique-t-il, tout en mangeant un Oreo.
L’équipe Smartacus a remporté cette boîte de biscuits lors du jeu-questionnaire de la semaine précédente. Il semblerait en effet qu’on peut s’attirer les bonnes grâces des animatrices en inscrivant des blagues lorsqu’on ne connaît pas une réponse.
Peu à peu, les autres joueurs et joueuses arrivent, formant une équipe assez hétérogène. Un Allemand, un Saskatchewanais, une Ontarienne et un Français sont réunis, feuille et crayon à la main.
Le jeu-questionnaire commence et les animatrices posent les questions à voix haute. À la table, on préfère inscrire nos suggestions sur des feuilles brouillon et les faire circuler, afin d’empêcher que les adversaires entendent. Maggie est là pour nous le rappeler à plusieurs reprises : « Chuchotez! », s’écrie-t-elle en riant.
« Il n’y a pas de mauvaises réponses quand on brainstorm (lance des idées) », ajoute Karmen, qui tient la feuille officielle. Lorsqu’un consensus est établi, il note la réponse sur celle-ci.
Cette fois, Smartacus ne s’était pas préparée outre mesure. Sur Facebook, les organisatrices du trivia annoncent le thème de la soirée à l’avance pour que les équipes étudient. « Habituellement, c’est Davie qui se prépare le plus », avoue Ben en souriant.
Davie était à l’extérieur du Yukon pendant le mois de décembre. Depuis la Belgique, elle me raconte comment elle procède : « Ça dépend des sujets, mais souvent je fais des recherches. Je ne travaille pas le mardi alors je peux étudier un peu d’avance », explique-t-elle.
Elle cite en exemple la thématique sur les prix Nobel : « Je vais faire plein de lectures et j’essaie de retenir un maximum d’informations, d’avoir le plus de connaissances possible », ajoute-t-elle.
Pendant le jeu-questionnaire, elle n’a pas le droit de consulter ses notes, colligées dans un cahier, mais elle peut réviser un peu avant. Elle essaie d’ailleurs d’arriver un peu d’avance pour poser des questions à son équipe et tenter de trouver des questions susceptibles d’être posées. En tout, elle met entre une et trois heures de préparation. « Ça dépend si le thème me plaît aussi », dit-elle en riant.
… que plaisant
Parce qu’une fois les questions posées, les conversations reprennent de plus belle, et le dévoilement des réponses suscite de vives réactions. Et l’essentiel est là, selon Davie : « Quand tu prononces le mot trivia, les gens ont peur, ils se disent qu’ils ne sont pas bons, mais on finit toujours par avoir du plaisir et on se prend au jeu », ajoute-t-elle. Les réponses en français sont aussi acceptées.
Prix Nobel, musique québécoise, dessins animés, États insulaires, variétés de plantes, opéra : ici, aucune connaissance n’est jugée anodine, tant la variété des thèmes abordés est impressionnante.
L’autodérision est donc à l’honneur lorsqu’on reçoit notre feuille corrigée et que l’équipe prend connaissance des erreurs commises. Malheureusement, Smartacus n’a pas remporté la première place cette fois-là, mais a de nouveau mis la main sur des bonbons.
Cependant, toute l’équipe sait désormais que le diamètre du plus grand flocon jamais enregistré, trouvé dans le Montana en 1887, mesurait 15 pouces.
Les prochaines soirées trivia auront lieu en janvier.
IJL – Réseau.Presse
L’Aurore boréale